EXTRAIT DE "MÉMOIRE COURTE" (texte inachevé et non publié de Jean-François Moreau)

 

2/4/- De l'Imagerie de la Femme

J'avais toujours rêvé d'une union de l'uroradiologie, beaucoup trop focalisée sur le seul appareil génital masculin, avec l'imagerie de l'appareil génital féminin, pour en faire une vraie radiologie urogénitale. Jean-René Michel avait fait une percée dans cette reconnaissance disciplinaire élargie, en imposant l'examen systématique de la vessie et l'urètre de la femme, comme dernière partie de l'urographie intraveineuse. Il acquit très vite une compétence originale, en décrivant l'anatomophysiologie de l'urètre féminin, par voie per-mictionnelle puis par l'urétrographie rétrograde avec une canule en verre de Bömlaere ??? miniaturisée adaptée pour l'hystérographie de la jeune fille. On cathétérise par l'embout le méat urétral, situé en arrière du clitoris, et on met en marche très doucement un aspirateur à dépression pneumatique ; la tulipe de la canule devient adhérente et imperméable, le produit de contraste est injecté sous pression indolore dans l'urètre. On mit en évidence alors toute une pathologie méconnue, expliquant parfois des cystites à répétition par des diverticules de l'urètre chroniquement infectés, notamment par extension d'une vulvo-vaginite rebelle lors des exercices sexuels.

Jean-Victor Raust, lors de son clinicat à Necker, dans les années 70, développa la technique de colpo-cystographie, proposée par ???, acte barbare quand il est effectué sans tact ni douceur. Le but est de connaître l'état du périnée chez les femmes atteintes de prolapsus utérins sévères, le plus souvent secondaires à des accouchements répétés et dystociques, compliquant ou non une déchirure du périnée. L'axe utérin fait issu hors de sa frontière vulvaire et se produit une incontinence urinaire d'effort, qui évoque un prolapsus conjoint de la face postérieure de la vessie. Le colpocystogramme cherche à faire la différence entre une cystoptose simple sans hernie, liée à un relâchement musculaire périnéal pur, et une cystocèle, par pression de l'utérus sur la vessie qui bascule en arrière et finit par étrangler l'urètre sur le ligament suspenseur du périnée. Dans sa variété classique, il fallait opacifier par des canules placées dans les orifices du périnée et injections rétrogrades de fluides opacifiants et par pose de dispositifs radio-opaques. La vessie, l'urètre, l'utérus, le vagin, le rectum et l'anus sont visibles en même temps, dans leur anatomie statique, la femme étant placée le bassin strictement de profil ; on prend deux clichés dynamiques, l'un en effort de retenue, l'autre en effort de poussée maximale. Il faut beaucoup de déontologie, d'intelligence, d'abnégation et de délicatesse, chez le radiologue comme chez la femme, pour réaliser cet examen traumatisant et salissant, procurant usuellement un sentiment d'humiliation. Pourtant, il est fort utile au chirurgien qui devra refaire un périnée stable et rendre la femme continente ; condition de confort personnel et social essentielle, cette intervention peut être réclamée impérieusement, notamment quand le pessaire devient inefficace. La colpocystographie peut se faire maintenant, avec un minimum de contraintes instrumentales, par la scanographie et surtout par l'IRM, technologies regrettablement encore inutilisables en position debout, celle qui provoque le maximum de troubles fonctionnels. Quel que soit l'intérêt du colpocystogramme, on ne peut fonder une discipline sur une technique aussi limitée.

Le salut ne pouvait venir que de l'incorporation sous mon autorité du secteur médical couvert par Pierre Mauvais-Jarvis, mélange complexe d'endocrinologie sa spécialité initiale, de gynécologie médicale héritée en partie de l'ancien service d'Albert Netter, de sénologie appelée aussi mastologie médicale, et de physiopathologie de la reproduction, ouverte par son adjointe, Frédérique Kuttenn, qui lui succédera en 1994. Être reconnu par l'école exigeante de Mauvais-Jarvis était un test de valeur d'une équipe radiologique. Je disposais d'un crédit à la suite du succès de travaux originaux liés à une technique de cathétérisme sélectif des veines génitales que j'avais mise au point en 1977, qui permet de faire des dosages très précis chez des femmes porteuses de tumeurs ovariennes hormono-sécrétantes.

Ce fut surtout mon activité pionnière menée avec Nicole Sterkers, qui vit la naissance de l'échographie mammaire moderne en 1979, qui m'ouvrit la porte de l'estime générale. Je bénéficiai également de l'héritage de Régis Azat-Thierrée, spécialiste de l'imagerie multimodale du sein, à sa retraite en 1989. Il m'apporta la possibilité d'installer la mammographie par les rayons X, avec le Senographe de la dernière génération de la CGR, fleuron prestigieux qui échappa à la remise en cause de ses productions lors de son rachat par la General Electric Medical Systems en 1988. Je confiai son développement à Liliane Rotkopf, assistée de Joël Chabriais, Patrick Sauval et Marie-Cécile Wibault. Je conservai la direction de l'échographie mammaire jusqu'à ce qu'elle évolue vers le doppler et surtout la cyto-ponction puis la micro-biopsie à l'aiguille. Vite, je fis installer à côté du mammographe une échographie dédiée, l'Esaote fabriqué en Italie, fameux pour son transducteur de dix mégahertz, puis un microtome pour des biopsies épaisses.

Azat-Thierrée avait fait installer à Necker un thermographe infra-rouge sophistiqué. Il espérait que la thermovision du sein aurait le même sort heureux que celui de l'échographie. Les résultats ne furent pas à la hauteur de ses ambitions. Faute de place pour transférer la salle thermostable qu'elle exigeait, je décidai de ne pas poursuivre l'expérience, non sans regret. La dissolution sans remplacement en 1968 du service de chirurgie gynéco-mastologique, poursuivant la voie tracée par ??? Redon, inventeur du drain aspiratif, et ultérieurement du service de radiothérapie, cantonnèrent mes protocoles scientifiques les plus exigeants, à la seule sénologie médicale, avec son cortège d'incertitudes, quand il n'y a pas de confrontation avec l'histo-cytologie des lésions réelles ou fictives du sein féminin. Necker avait donc oublié les leçons de médecine anatomo-clinique générée in situ par Laënnec. Nous aurons de la chance quand les patientes seront opérées dans des centres chirurgicaux ou carcinologiques réputés pour leur rigueur scientifique.

Je disposais donc dans les deux premières années de l'ouverture de mon service, et les malades et les techniques. Il me manquait cruellement les radiologues compétents en imagerie gynécologique des organes intrapelviens. Je donnai satisfaction à Frédérique Kuttenn en recrutant une gynécologue de son équipe, Claire Matuchansky, pour qu'elle dispose de « belles » échographies de l'utérus et des ovaires. Celle-ci adhéra avec enthousiasme au recrutement de la généreuse Brestoise Hélène le Guern, qui accepta de travailler gracieusement un jour par semaine, en complément d'elle. Mais mon joker-clé me fut apporter par le ciel, le jour où Karen Kinkel vint me demander une place de chef de clinique. Son cursus était exceptionnellement favorable et marqué du sceau de l'originalité la plus séduisante. Née Allemande, parlant cinq langues, elle avait obtenu la mention très bien à un bac C francophone international à ???, avec fait sa médecine afin de devenir gynécologue-obstétricienne, bifurqua à la fin de son internat vers le radiodiagnostic dont elle apprit les bases chez Guy Frija à l'hôpital Laënnec. Avec ces trois jeunes femmes et Xavier Belin se profilait un quatuor de choc qui eut très vite une dimension internationale. J'allais donc pouvoir m'investir à fond dans la promotion universitaire du concept « Imagerie de la Femme ». Émanation du « Women's Lib » aux USA, sous l'impulsion de quatre Américaines uroradiologues que je connaissais bien, Amy Thurmond, de Portland, Oregon, Hedvig Hricak de l'UCSF, Sandra Fernback, de Chicago, cette nouvelle sous-spécialité du radiodiagnostic naissait dans la douleur et l'hostilité de la majorité de nos confrères. Avec Karen Kinkel comme égérie sur le continent européen, nous allions créer une école de formation, avec comme premier impératif la formation d'une génération d'internes destinés à devenir ses assistants. Ainsi, se succédèrent Bénédicte Vincent et Corinne Balleyguier, qui s'y impliquèrent avec un enthousiasme contagieux. Il en résultera un "Certificate of Merit" à la RSNA'95.

En 1995, je croyais le combat définitivement gagné. Le projet IRM, essentiel pour l'avenir de l'imagerie gynécologique de pointe, allait passer à Necker. Karen Kinkel déjà savante en imagerie du pelvis s'y engageait déjà pour le sein, qui devait faire l'objet d'un protocole de thèse de sciences de la vie combinant imagerie et hormonologie des récepteurs. L'école montpelliéraine s'engageait aussi dans le processus. Nous allions faire l'assaut de l'AER et de l'ESUR, pour la création de sessions dédiées des Congrès de Vienne...Qui plus est chauffait à Necker, dans le Palais du Rein, l'installation tellement contestée et maintes fois différée de la Maternité et d'un département de gynécologie chirurgicale, à laquelle j'apportais un soutien sans réserve. Ce seul aboutissement du projet de fusion de l'imagerie de l'homme et de la femme, aurait déjà suffi à justifier les sacrifices gigantesques que j'avais dû consentir, et à me conférer aux USA le label « Achievement », qui inspirait le respect avec inflexion du buste des spectateurs admiratifs ou dénigrants du combat des chefs identique des deux côtés de l'Atlantique.

 

 

A RAVENSBRÜCK

LA PHARMACIE DE MARGUERITTE CHABIRON
A VERDELAIS ETAIT DANS CET IMMEUBLE

LES RESISTANTES S'ENFUIRENT PAR LE JARDIN A PIC