ET MA SANTE SOCIALE DANS TOUT CELA ?

C'est le début de l'enquête en cours sur le site JFMA.fr. Je m'exprimerai à mon sujet sur le forum. Je vous invite à exprimer votre approche... en l'écrivant à jf@jfma.fr qui vous répondra personnellement.

ENTRE L'ASCESE ET LA DEBAUCHE, MA SANTE


Dans les réveillons de mon enfance, on se souhaitait rituellement la bonne année sous le gui à la minuit sonnée du 31 décembre, sans omettre d'y ajouter, d'un seul tenant, une bonne santé, suivie, dans cette lande haute-bretonne catholique bien-pensante éventée et boueuse, du vœu de se retrouver au paradis à la fin de ses jours, le plus tard possible évidemment. « Bonne année, bonne santé et le paradis à la fin de vos jours » donc, que l'on fut calotin ou sans-Dieu, sauf à vouloir démontrer à la fois son manque d'éducation et son âpreté à hériter au plus tôt de son défunt prochain, dès mais pas avant le 2 janvier. Corollairement, dans ce pays rural en diable, on ne manquait pas de conclure, à la fin de chaque conversation toujours légitimement axée sur la dureté de la vie, où que ce fut avant de se quitter, sur la place de l'église ou le long du chemin vicinal, que l'on fut hobereau ou cul-terreux, que « de toute façon, le plus important, c'est la santé ! ». Et ce, jusqu'à la Saint Sylvestre suivante.

« C'est quoi la santé pour vous ? » Posez cette question à vos proches, vos voisins, vos amis, vos collègues, le tout-venant de vos rencontres, et comptez ceux qui répondent soit par se bien porter, soit ne pas être malade. Pour avoir récemment interrogé quelques brillants de mes collègues en mandarinat, je suis encore étonné par l'imprécision de leurs définitions. Oublions celui - un très bon pourtant ! - qui, surpris par ma question abruptement posée, m'exprima son embarras et se lança dans un pathos économico-politique qu'il décida vite lui-même d'abréger. Il appartient à la génération née avec l'idée que la santé n'a pas de prix mais a un coût, ce qui ne devrait pas dispenser de savoir de quoi au juste on parle avant de payer à la caisse de la sécu. La moins inexacte se référa à la maxime de Juvénal, « mens sana in corpore sano », citée par un maître justement révéré de la médecine interne, plutôt libéral de droite bien nanti sur tous les plans. Savez-vous qu'il existe une définition internationale officielle de la santé que tout professionnel devrait inscrire à son fronton ? Bilingue franco-anglaise, elle figure au premier alinéa de la charte de l'Organisation Mondiale de Santé (OMS= WHO), elle-même émanation de l'Organisation des Nations Unies (ONU = UNO), toutes deux créées au décours de la Seconde Guerre Mondiale, sous l'impulsion d'individus aussi inspirés que notre Prix Nobel René Cassin. Seul, un mien confrère, distingué conseiller social-démocrate de futurs présidentiables, me l'a citée in extenso : « La santé est un état de bien-être physique, mental, social ». Je fus professeur d'hygiène dans une école d'infirmières de l'Assistance Publique à  Paris, et ce fut le thème de mon premier cours, un éblouissement pour mes « petites bleues » comme pour moi qui n'avais pas appris cela comme ça pendant mes études de médecine. C'était en 1965. Tout juste nommé au concours de l'Internat des Hôpitaux de Paris et médecin-aspirant à 30 nouveaux francs par mois, j'étais alors certifié en excellente santé physique, mentale et sociale. J'améliorais ainsi l'ordinaire de mon jeune ménage à l'épouse salariée 1000 de ces francs brut pour quatre semaines de quarante heures et trois semaines de congés légaux annuels.

Que sais-je de la santé en général, quarante ans plus tard, au terme de mon parcours médical qui , il y a six mois déjà, me conduisit à l'état de retraité de l'Université, honoré de deux maladies de longue durée résultant d'avatars naturels - les outrages de l'âge - et hasardeux - les épreuves conjoncturelles imprévisibles ou imprévues qui mirent Job sur son fumier et définirent sa destinée entre l'ascèse et la débauche ? La bonne santé ne relève-t'elle que d'une accumulation sempiternelle de privations ou d'un refus réitéré des excès en tous genres, tous deux sur un rythme binaire pour s'adapter à l'ordinateur ? Les moines trappistes sont-ils des immortels sur terre en puissance, dispensés des affres purgatoriaux du diabète de type 2, conséquence réservée aux seuls séculiers triglycéridinés par abus de péchés capitaux ? Le curé de Cucugnan versus celui d'Ars ? Les diabétiques insulino-dépendants sont-ils des damnés sur terre à racheter dès leur arrivée chez Saint-Pierre ? Les Néron, Gilles de Rais et autres Raspoutine recherchaient-ils expérimentalement dans le crime, le stupre et la débauche la mauvaise santé précoce dont l'haleine putride, le teint vultueux et la silhouette avachie annoncent l'infernale imminence, la quarantaine sonnée ?

Ni les Grecs ni les Romains n'eurent l'idée de déifier la Santé en tant que telle. À l'évidence et malgré la beauté de leurs athlètes et courtisanes, tous les hommes et les femmes de l'Antiquité ne pouvaient être des êtres sains de A à Z, nous le saurions et révérerions toujours Zeus ou Jupiter puisque nous vivrions dans un bain de jouvence perpétuelle sur terre. Ils devaient donc tous être en mauvaise santé, des malades réels ou en puissance dès la naissance voire avant. Ils ne promurent donc pas davantage la Médecine au rang de divinité à part entière. Le bel Apollon, dans son portefeuille ministériel et bien au commande de son quadrige, avait bien d'autres responsabilités à assumer que sa seule santé cosmétique. Il avait en charge le mouvement solaire qui régit l'harmonie des rythmes biologiques dits nycthéméraux, quand il voulait bien s'entendre avec Venus et Pomone, respectivement déesses de l'amour lunaire et de la fécondité. Mercure, avec son caducée, était surtout le ministre des transports et des PTT de Jupiter ; aujourd'hui, il serait l'apôtre des ambulances et de la télémédecine. Hippocrate et Galien furent, eux, des scribes sous-secrétaires d'État, sans même le statut de demi-dieux avec la sécurité de l'emploi qui s'y rattache, mais leurs écrits pérennes en font des précurseurs de l'immortalité temporelle version Richelieu. La santé est un concept récent qui n'apparaît pas clairement dans la tradition judéo-chrétienne, même quand Moïse hérite des Tables de la Loi. N'y sont abordées que la procréation sous forme de devoirs conjugaux jouissifs à la maison et la prohibition du meurtre et de l'assassinat. Auparavant, le perfide Belzébuth feinta Eve en utilisant une pomme avariée et Dieu introduisit la mauvaise santé par le biais de l'enfantement dans la douleur et l'hypersudation par le travail forcé pour gagner son smic et échapper à la famine. Noë ne rendit pas service à l'humanité dans son souci écologiste lorsqu'il embarqua microbes et parasites dans son arche en même temps que les veaux, les vaches et les couvées. Le chirurgien de notre bon roi Henri, le parpaillot mayennais Ambroise Paré, bien qu'exerçant au temps des Temps Modernes, proclama qu'il ne serait jamais plus que la main de Dieu si, par chance, il guérissait un malade en le soignant ; il est le précurseur d'une médecine écologique avec son parage des plaies par sa lancette sans morfil et l'eau claire du ruisseau jouxtant le champ de bataille. La santé continua de ne se concevoir qu'à travers la maladie, depuis le parangon de l'hypochondrie que fut Molière et son imagination maladive rapportant tout au poumon, jusqu'au paradoxe du Dr Knock portant au frontispice de l'humanité souffrante : « tout homme est un malade qui s'ignore », sauf lui-même, apparemment dénué de pithiatisme dans la dramaturgie de Jules Romain. Du côté des hérétiques, Mahomet fut un pape de l'hygiénisme prépastorien dont le Coran éclaira les œuvres d'Avicenne et d'Averroès chez les Cordouans auprès desquels Rabelais ira chercher les clés d'un paradis social à Thélème-sur-terre, plutôt proche de la débauche laïque que de l'ascèse bénédictine. Plus à l'Est, en Inde, les anachorètes qui lavent leur colon dans l'eau du Gange pour se débarrasser de leurs vibrions cholériques et de leurs amibes pour honorer Shiva, sont les pères de l'antimédecine expérimentale et de l'adaptation cool à l'état de malade permanent par la méditation transcendantale à visée sédative. Finalement, c'est en Chine, patrie de Confucius et de Lao-Tseu, que l'on approche au plus près de la définition de la santé la plus orthodoxe, c'est-à-dire la référence à l'humain bien-portant : on arrête de payer son médecin quand on est malade, ce qui est le principe même d'une bonne assurance sociale type National Health Service et implique qu'on sache définir un état de normalité. Quiconque a voyagé en Chine ne peut que méditer sur la relativité des choses par rapport aux longitudes et à la famine endémo-épidémique extrême-orientale : « quand la famine arrive, les gros maigrissent et les maigres meurent». Comme me l'a souvent répété mon ami Tan de Singapour en scandant les mots comme on mange un pannini : « Chinese people always eat and Chinese women only like money».

Les Anglo-Saxons bénéficièrent de l'habeas corpus, acte politique précurseur de la reconnaissance par l'aristocratie de la notion de santé, dans la mesure où il assurait le respect de la personne physique de l'humain dans l'environnement social d'une époque marquée par le souvenir de la sauvagerie ambiante du dictateur Cromwell au siècle précédent. Mais ce n'était pas la garantie d'une bonne santé égalitaire pour tous dans la patrie du futur Charles Darwin. D'ailleurs, contrairement aux Français et leur « bonne santé », aux Espagnols et leur « salud y pesetas», mots dérivés du latin « sanus,a,um » et « salus,utis », la perfide Albion alla chercher un mot germain, « health », pour dénommer leur « behaviour ». Nos Rois Louis avaient un Chirurgien officiel, héritier des barbiers, et les médecins n'étaient que des clercs à la Diafoirus, à la réputation plus proche de la Poison que de la bonne Tisanière. Sauf à en faire une prison, la Santé ne fut pas une préoccupation constitutionnelle au temps de la Révolution Française. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, version 1789, n'assurait que l'égalité de l'être humain devant le malheur de naître loin de la Bonne  Sauvagerie, comme le démontre bien la lecture éclairée du Contrat Social de Rousseau. Elle gratifie également la liberté de partir la chercher chez les Papous ou les Iroquois, la fraternité par le partage du bonheur de survivre aux grandes peurs de la Terreur. Il fallut attendre la fin des hécatombes provoquées par les guerres napoléoniennes et leurs estropiés pensionnés pour que Louis XVIII crée l'Académie Nationale de Médecine, mettant à égalité les chirurgiens, les médecins, les apothicaires et les vétérinaires devant des tâches sanitaires nationales pour assurer au moins la bonne qualité de l'eau de consommation courante. Le Suisse Henri Dunan créa la Croix-Rouge au soir de la bataille de Sébastopol, pendant la guerre de Crimée, sous Napoléon III. Le chancelier Bismarck utilisa l'énorme rançon payée par Mr Adolphe Thiers au nom des Français vaincus en 1870 pour offrir à ses compatriotes allemands les premières assurances sociales institutionnalisées de l'histoire de l'humanité. Si Jenner découvrit les principes de la vaccination et Sommelweiss le drame d'avoir eu raison trop tôt, l'hygiène doit tout à Pasteur qui fut la terreur des microbes jusqu'à l'apparition des antibiotiques. La santé ne fut pas pour autant une préoccupation de la Société des Nations, établie à Genève par le Traité de Versailles de 1918, malgré la grippe espagnole, l'encéphalite de von Œconomo et les ravages de la tuberculose que l'on continua de traiter nationalement. Plus personne ne se souvient que Léon Bourgeois, le père des dispensaires dont le premier fut installé à l'hôpital Laennec, obtint un Prix Nobel de la Paix. Aux behavioristes l'on doit l'esprit de la définition de la santé adoptée par l'OMS, institution majeure créée. On n'imagine plus de gouvernement qui n'exhibe pas un ministère de la Santé mais on voit bien, aux plombages qu'apportent les termes ajoutés de « Affaires Sociales », « Solidarité Nationale » et autres correctifs générateurs de délégués et de secrétariats d'État, que cette notion de bien-être physique, mental et social ne définit plus aujourd'hui simplement et totalement le mot simple de santé. « A votre bonne santé », donc, et trinquons avec le verre d'aqua simplex de l'ascète d'une main, de l'autre le godet du débauché qui préfère l'eau-de-vie à 40° et le cassoulet toulousain à la seule carotte crue du capucin.

VOUS AVEZ DIT SANTÉ PHYSIQUE ?

On ne peut pas comprendre ce que signifie le morceau « Santé Physique », sans savoir combien il fut difficile de connaître l'anatomie du corps humain d'abord, sa physiologie ensuite. Fruit des efforts plurimillénaires de prêtres ou de sorciers devenus au fil des temps des savants longtemps marginaux, souvent persécutés et torturés, parfois condamnés à mort ou à la prison, travaillant sous toutes les latitudes vers les mêmes buts : apprendre, comprendre, soigner, soulager, guérir, sans que l'on perçoive toujours très bien ce que fut la réelle motivation première des investigateurs. Sait-on que, quand au XVIe siècle Rembrandt peint la Leçon d'Anatomie, les anatomistes sont plus souvent des artistes peintres ou sculpteurs que des chirurgiens ou des médecins, quand ils ne sont pas tout cela ensemble. L'école italienne a produit Vésale, le  père de l'anatomie moderne, parce que les Borgia la protégeaient contre le pouvoir religieux réactionnaire au point de s'installer au Vatican, mais Léonard de Vinci, le premier anthropomorphologiste, la connaissait au moins autant que lui. La chirurgie de guerre prit le relais pour développer la traumatologie à partir de l'examen des blessures ouvertes. Saluons l'immense effort des universitaires français tout au long du XIXe siècle jusqu'à nos jours, pour que médecins et chirurgiens disposent, non seulement d'atlas d'anatomie normale tendant à l'exhaustivité, à partir d'un très petit nombre de cadavres, mais aussi de traités récapitulant les variantes du normal et du pathologique qui dépendent des morphotypes humains d'une infinie richesse. Cela va du Baron Dupuytren à Gaston Cordier qui réédita les fameux Rouvière, et leurs bistouris de dissection minutieuse. L'essor de la chirurgie moderne en dépendait. C'est la découverte des potentiels de la radiologie par Röntgen en 1895 qui a fait sortir l'anatomie de son enveloppe charnelle, en révélant, sans recourir à l'incision de la peau, les mystères des organes de chaque être humain, les détails intimes de la main de sa femme en tout premier. Jusqu'au milieu du XXe siècle, l'anatomie était la discipline reine de la médecine dans le gradus ad parnassum des étudiants et le cursus honorum des jeunes médecins. Avant-guerre on n'imaginait pas être reçu aux concours de l'externat puis de l'internat des hôpitaux si on en massacrait ses épreuves. « L'anatomie colle, la médecine reçoit, la chirurgie classe » disait-on dans les conférences d'externat d'avant mai 1968. La chirurgie était le choix princeps de l'élite de l'internat, la carrière de chirurgien des hôpitaux passait par le prosectorat où l'on disséquait à tour de bras. Aujourd'hui, c'est un Ministre de la Santé sous Chirac, un collègue cardiologue toulousain, qui l'a dit il n'y a pas deux ans, tout le monde ne peut être radiologue à Cannes. Il n'est pas d'organes à l'état normal, sauf les minuscules glandes parathyroïdes, qui échappent aujourd'hui à l'une des techniques d'imagerie, qu'elles utilisent les rayons X, les ultrasons, les radionuclides, les infrarouges, le magnétisme. Il n'y a pas de politique de santé si l'on ignore l'anatomie de ses concitoyens, parce qu'il n'y a pas de définition possible de l'état de santé d'un individu dont on ignorerait préalablement la valeur anatomique d'organes identifiés précisément. « J'ai mal au cœur » dit la jeune femme en vomissant. Ce vaillant organe vital est beaucoup trop insensible pour un aussi trivial symptôme digestif de sa grossesse débutante. « J'ai mal aux reins », médit le golfeur de son appareil urinaire alors qu'il souffre d'une colonne vertébrale lombaire surmenée par des squats culturistes en série. Absolvons au nom de la permissivité de l'art toutes les licences poétiques, y compris celles de Serge Gainsbourg prenant des chemins de traverse à l'arrière de Jane Birkin en se trompant de conduit pour ses coups de piston. Le « tout le monde peut se tromper dit le hérisson en descendant de la brosse » ne peut s'appliquer au médecin en herbe, hélas ! de plus en plus ignorant de l'exactitude de la position du foie sous les côtes et de l'artère radiale sous le brassard de l'appareil à tension de Vaquez-Pachon, pour ne pas parler du col utérin au toucher vaginal. Je suis incapable de vous citer de mémoire le nom d'un grand anatomiste, français ou non, de l'an 2000.

Un organe anatomiquement normal en position comme en volume contribue à définir la santé physique de base, mais en tant que pré-requis seulement. Ce n'est pas suffisant, car la nature est perverse et cache beaucoup trop d'anomalies latentes comme elle sait parfois hurler des douleurs sans substrat organique anormal avéré. Vérité de la Palisse qu'il faut toutefois honorer, c'est parce que l'organe bien localisé n'est pas « normal » que l'on peut commencer à parler de pathologie. Trop de carabins et de médecins l'ignorent, tant ce qui est normal les porte à l'indifférence, eux qui préfèrent voir une « belle » tumeur chez un cas « très intéressant » de néoplasie endocrinienne multiple qu'une belle plante « en peine de cœur ». Alors que la confirmation de la normalité d'un organe devrait contenter le médecin (et son patient), trop souvent il s'en inquiète tant l'angoisse de l'erreur par défaut lui est moins tolérable que l'inverse, l'anormale portée par excès, qui déclanchera une batterie de tests complémentaires et un brevet de louable prudence (que son patient reconnaîtra ou maudira). C'était autrefois un privilège de la jeunesse inexpérimentée que de privilégier le pathologique sur le normal. Maintenant le devoir de précaution y incite à tous les âges durant lesquels on paye une patente à l'Etat et une police de protection légale à son assureur professionnel.

Certes, il y eut des précurseurs de la connaissance anatomique anormale depuis l'Antiquité la plus reculée. Chez les Incas comme chez les Pharaons, au siècle de Périclès comme au néolithique de Cro-Magnon, on faisait des trépanations, des ablations de cataracte et des césariennes, mais au prix de quelle mortalité post-opératoire ? Il n'en demeure pas moins que René-Théophile Laennec est le père incontesté de l'anatomie pathologique moderne, elle-même socle scientifique d'une médecine clinique d'esprit hippocratique adapté aux futures autres découvertes majeures que seront la biophysique, la biochimie, la bactériologie, la virologie et la parasitologie à l'ère industrielle. Il sut relier les constatations d'autopsies systématiques des malades décédés à l'hôpital Necker à la symptomatologie clinique de leurs maladies déjà connues ou plus souvent encore à étiqueter. Et Dieu sait qu'il y en avait des milliers à découvrir, il y a presque déjà deux siècles et qu'on a pas fini d'en découvrir de nouvelles. Le très obsessionnel et rigoureux Laennec savait parfaitement collecter tous ces signes qu'apportent un interrogatoire courtois mais policier, et le quatuor de l'examen physique minutieux codifié par Hippocrate : l'inspection, la palpation, la percussion et l'auscultation de la totalité du corps. On se souvient qu'il inventa le stéthoscope pour ausculter cœurs et poumons dans les meilleures conditions d'acoustique et de délicatesse. Il donna son nom à la cirrhose hépatique atrophique alcoolique et mit de l'ordre dans la classification des lésions de la tuberculose pulmonaire, fléau dont il mourut prématurément.

Après l'invention du microscope optique par Spallanzani, on put explorer la matière corporelle bien au-dessous du millimètre cube, en la tranchant en coupes ultrafines fixées sur des lames de verre et colorées selon des techniques qui doivent beaucoup à l'art de la teinturerie. L'anatomie microscopique s'attaqua à la cytologie, science de l'anatomie des cellules sans laquelle il n'y aurait pas eu de génétique. L'histologie est la science des tissus cellulaires à laquelle est rattaché le nom de Malpighi. Sait-on ce que l'on doit à des savants comme Virchow et Lecène dans le développement de la connaissance de l'histopathologie, sans laquelle il n'y aurait pas de cancérologie ? Sans les pionniers, point de dépistage cytologique systématique des cancers de l'utérus, haut facteur d'altération de la santé de la femme, point de diagnostic d'azoospermie chez l'homme infertile faussement responsable d'une supposée stérilité féminine, si nocive pour la santé du couple. La microscopie électronique est l'outil qui fait le pont entre l'anatomie et la physiologie à l'échelle infinitésimale au millième de micron sur laquelle l'œil de l'opérateur ne joue son rôle qu'à l'aune indirecte de l'étude des clichés photographiques magnifiés.

La connaissance de la physiologie du corps humain suivit celle des organes anatomiques, elle ne la précéda jamais. Deux savants dominent cette histoire. L'Anglais Harvey débarrassa la médecine des humeurs médiévales venteuses et brumeuses en établissant les règles de la circulation sanguine dans le système cardio-vasculaire. Faisons l'impasse sur Lavoisier qui eut le tort d'être fermier général à guillotiner au plus vite avant d'établir définitivement les lois de la physiologie respiratoire. Le Français Claude Bernard établit les principes de la médecine expérimentale, à l'origine entre autres du développement de la gastro-entérologie et de l'endocrinologie. « Crétin des Alpes » fait partie de la sémantique injurieuse du capitaine Haddock. Il y a encore un bon siècle, avant qu'on ne découvre la thyroxine, on ne savait pas que l'énorme goitre qui déformait le cou de ces infortunés montagnards résultait d'une carence iodée gonflant leur corps thyroïde assoupi qu'on sait maintenant facilement prévenir par un apport alimentaire adapté. Aujourd'hui, grâce à la qualité de l'expérimentation animale bien conduite et à des techniques d'explorations fonctionnelles sophistiquées par la médecine nucléaire et l'informatique, il n'y a pratiquement plus de champs désertiques à défricher en physiologie normale du soma. Ce ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'énigmes à élucider, notamment en génétique et en biologie nanomoléculaire, loin de là. Ne serait-ce qu'à cause de la compréhension des mécanismes de l'adaptation permanente de la santé humaine aux évolutions de l'environnement et des conjonctures naturelles - ah ! l'effet de serre, les pesticides, les moustiques et l'immunoallergologie ! -, les chercheurs ont du pain sur la planche. Mais il n'y a plus aujourd'hui de raison de penser qu'on ne peut comprendre le fonctionnement d'organes indispensables à la bonne santé physique de l'homme. Sauf à imaginer des transformations organogénétiques d'inspiration évolutionniste hollywoodienne, il est plus qu'invraisemblable que l'on découvre de sitôt de nouveaux organes anatomiques que tant le bistouri que la radiologie n'auraient su identifier naguère. Avec l'échographie et plus récemment la résonance magnétique nucléaire, le fœtologiste n'a plus de secret anatomique à déflorer à l'œil nu.

Le soma aujourd'hui peut rouler sur sa lancée, notre connaissance de son anatomophysiologie normale devrait réserver peu de surprises tant qu'on reste dans le domaine terrestre régi par la loi de la pesanteur dans un air oxygéné respiré selon Lavoisier. C'est vrai sauf dans le domaine neuropsychique, lui encore plein d'inconnues. Il nous place en transition vers le second morceau : le bien-être mental déterminé par le psyché et son exécutif locomoteur.

VOUS AVEZ DIT SANTE MENTALE ?

Niché dans son cerveau entouré de ses méninges protectrices et nourricières, enfermé dans son crâne, le tout-pensant, le mental, est situé dans la tête qui est reliée au thorax par le cou, cependant que l'axe cérébro-spinal comporte la moelle épinière qui se coule dans le canal rachidien creusé dans la colonne vertébrale de l'occiput au coccyx. Les nerfs à visées motrices, sensitives et sensorielles en sortent de partout pour diffuser du cuir chevelu aux orteils les ordres centraux une fois analysées les informations provenant de la périphérie, appareil locomoteur et viscères inclus. Ne les oublions pas même s'ils dépendent aussi d'un système nerveux autonome ortho- et parasympathique, symbole de l'ambivalence de notre complexe physiologie générale. Tout cet ensemble est du domaine de la neurologie, science du système nerveux anatomique, principalement attaché à la dimension somatique de l'anatomophysiologie. La neurologie moderne commence avec Pierre-Paul Broca, un génial chirurgien charentais touche-à-tout qui identifia le premier la cause anatomique de l'aphasie motrice, une grave infirmité qui empêche un individu d'exprimer des phrases par la parole alors qu'il sait bien les concevoir dans son cerveau mentalement sain : c'est l'équivalent d'une panne d'embrayage. Peu de temps après, Wernicke donna son nom à l'aphasie sensorielle dont l'équivalent serait le remplacement d'un chauffeur hispanophone expérimenté par un gamin bengali de cinq ans pour conduire un camion par ailleurs en bon état de marche au milieu du désert saharien. Ils ne purent développer cette science que parce que l'anatomie cérébro-spinale était alors déjà précisément connue. L'aphasie de Broca résulte d'une lésion pré-rolandique, celle de Wernicke retro-rolandique. Le recensement de toutes les aires psycho-motrices du cerveau fut effectué par Penfield entre les deux guerres mondiales, bien avant que l'on dispose de la scanographie par les rayons X puis de l'IRM et de la caméra à positrons. Ces dernières n'ont fait que confirmer la pertinence de cette cartographie en l'améliorant, bien entendu, chaque semaine davantage.

« Je pense donc je suis ». Si l'on savait exactement où est le centre anatomique de la pensée et de l'instinct vital, on saurait réaliser le rêve de ceux qui veulent dissocier la neurologie de la psychiatrie, sciences des troubles mentaux plus que de l'état normal des facultés mentales qui relèverait plutôt de la psychologie. L'idée n'en est pas venu à Charcot qui à la Salpêtrière fut l'âme de la neuropsychiatrie en découvrant de vraies maladies neurologiques comme la maladie dégénérative qui porte son nom et en explorant l'hystérie qui conduisit Freud à codifier l'approche psychanalytique du moi et du ça. Le père de la psychiatrie moderne serait Pinel, l'infirmier général de l'hospice de Bicètre qui délia les chaines des aliénés, comme le glorifie le tableau du grand hall de l'Académie Nationale de Médecine, rue Bonaparte. C'est faire bon marché du gigantesque travail préliminaire plurimillénaire des philosophes de tous poils qui prépara le terrain où évoluèrent René Descartes pour l'éloge de la raison, Erasme pour celle de la folie et Spinoza pour la place des émotions irrationnelles dans les heurs et les malheurs de la condition du roseau pensant qu'est l'homme d'après Blaise Pascal. J'appartiens aux générations d'étudiants en médecine qui n'eurent aucun enseignement solide de psychiatrie. Tout ce que je sais relève de l'autodidactisme. J'ai appris sur le terrain à structurer une vision pragmatique de la pathologie mentale à l'usage de mes patients d'abord. « Si vous êtes allergique à la psychiatrie, n'en faites pas ! », m'avait conseillé le grand Cyrille Koupernik. J'en ai fait le moins possible en traitant les symptômes urgents et en fuyant les diagnostics définitifs jusqu'à ce que, optant pour la radiologie, j'abandonne l'exercice de la médecine interne. J'envie les gens qui savent différencier la folie ordinaire de ceux qui, comme les hommes de Jésus, « ne savent pas ce qu'il font » en crucifiant ou en lobotomisant, de la forme extraordinaire qui fait que « sans folie, il n'y a pas d'esprit créateur », comme l'écrivit Pasteur et le démontra Antonin Arthaud. A titre personnel et jusqu'à un passé très récent, j'ai navigué ensuite entre folie et raison, sans véritable diagnostic académique de mes handicaps mentaux qui ont justifié nombre de traitements anodins ou traumatisants, en toute confidentialité confraternelle, ce qui m'a assuré une vie pleinement active sinon heureuse ou confortable pour mon entourage.

Que disait-on dans mon enfance ? Il fallait pour raison garder d'abord et avant tout travailler physiquement, dur et fort de préférence. La flemmingite chronique en se la coulant douce conduisait au vice, versant débauche plutôt que dans l'ascèse contemplative, sauf rédemption miraculeuse. Jusqu'à la création de la sécu, la forme aiguë était inconnue chez tous ceux qui devaient émarger à une embauche salariée ; les patrons y virent une nouvelle forme de subversion au vu des premiers arrêts de travail pour fatigue post-grippale chez leurs employés. Les spéculations intellectuelles, en dehors des sentiers culturels exigés pour obtenir le certif', devaient être évitées sous peine de contracter « la méningite » et ses redoutables complications allant de l'épilepsie à l'arriération mentale en passant par les délires érotiques (les délires mystiques ou religieux étaient plus dangereux mais mieux considérés), les penchants suicidaires ou meurtriers et le delirium tremens. Il faisait « très chaud là-haut » quand on gambergeait trop et qu'on sortait de la modestie convenue ou de la douceur puérile et honnête. La masturbation risquait de rendre sourd plus souvent qu'idiot. L'alcool n'était pratiquement jamais incriminé, mais c'était le carburant journalier et ne pas consommer aurait pu passer pour un signe de faiblesse d'esprit constitutionnelle. L'adolescent que je fus trouva son guide dans « Les Essais » de Montaigne, plus tard dans les poèmes d'Aragon. Aujourd'hui encore, j'y trouve le meilleur réconfort dans mes périodes philosophardes et ce sont les livres que j'emporterais pour un séjour définitif sur une île déserte. Ne comptez pas sur moi pour vous confier que je suis plutôt névrosé à la Jean-Edern Hallier ou psychotique à la Caligula ? Toujours est-il que je me suis senti « très mal dans ma tête autant que dans ma peau » pendant les cinquante dernières années écoulées, avec des moments où j'ai carrément perdu la raison au point de devoir être interné. Inutile d'espérer encore aujourd'hui trouver quelqu'un qui vous dise sans hésiter sur quels critères objectifs on peut dire qu'un individu est psychiquement normal. C'est à partir du diagnostic de «C'est un dingue, ce mec-là » qu'on arrivera à la conclusion qu'il n'est pas normal. Rappelons qu'à l'époque où Juvénal proclamait son désir de « mens sana in corpore sano », le pater familias avait le droit de mort sur ses enfants et l'on s'étripait entre esclaves gladiateurs au Colisée. La citation célèbre se trouve dans la Satire IX. Ceci expliquerait-il cela ? Autre critère de normalité, moins risible sinon compréhensible aujourd'hui, mais très en vogue à l'époque des ma jeunesse : « Tous les psychiatres sont des fous ! » et son corollaire « Si tu vas voir un psychiatre, tu seras définitivement catalogué comme fou, parce que si tu le l'es pas, tu le deviendras ! ». La jargonaphasie lacanienne n'était pourtant pas alors à la mode et l'antipsychiatrie n'avait pas droit de cité à la Faculté.


ET MA SANTE SOCIALE DANS TOUT CELA ?

C'est le début de l'enquête en cours sur le site JFMA.fr. Je m'exprimerai à mon sujet sur le forum. Je vous invite à exprimer votre approche... en l'écrivant à jf@jfma.fr qui vous répondra personnellement.

Commence ici une réflexion sur le SUICIDE, maladie affectant la santé sociale.

Jean-François Moreau, propriétaire et webmaster de www.jfma.fr

Dr Jean-François Moreau, AIHP, FACR
Professeur Emérite, Université Paris Descartes
Electroradiologiste honoraire de l'hôpital Necker

Ecrivain, historien, photographe, journaliste
Editeur et webmaster de l'ADAMAP http://www.adamap.fr/

A RAVENSBRÜCK

LA PHARMACIE DE MARGUERITTE CHABIRON
A VERDELAIS ETAIT DANS CET IMMEUBLE

LES RESISTANTES S'ENFUIRENT PAR LE JARDIN A PIC