Le docteur Jacques Gillet, excellent médecin clinicien et électroradiologiste qualifié parisien non titré, né en 1923 et décédé le 27 août 2013, avait le corps et l'âme d'un aventureux pionnier doté d'un formidable capital d'énergie entrepreneuriale inexploitable dans la France de l'époque. Exemple de sérépendité ? L'aventure africaine se présenta par la conjonction du hasard d'une rencontre avec une affiche touristique ventant les charmes d'Agadir et de la nécessité de gagner sa vie d'homme marié bientôt père de famille reçu à un concours de médecin de la Santé publique. Il trouva au Maroc en 1955, après deux expériences  infructueuses mais instructives tentées à Marrakech puis à Meknès, le lieu du protectorat où il put réaliser son rêve : l'exercice salarié de sa spécialité à temps plein dans un hôpital public qui le conduira à créer l'admirable école de radiologie hospitalo-universaire de Rabat, pépinière de talents aujourd'hui internationalement consacrés.  

 

Nommé chef du service antédiluvien de radiologie de l'hôpital Avicenne (Ibn Sina) de Rabat en 1956, Jacques Gillet fut parfaitement intégré et reconnu par le ministre de la Santé Faraj et l'administration d'un Royaume devenu indépendant. Il en fit en deux décennies le temple originel de la radiologie hospitalo-universitaire marocaine sur des bases synthétisant à son profit le meilleur esprit radio-clinique des écoles françaises (Professeur Jacques Lefebvre), suédoises (les Acta Radiologica étaient sa bible) et américaines (Professeur Alexander Margulis). Toujours en phase avec les rois Mohammed V et Hassan II et leurs ministres, il obtint les équipements les plus modernes qu'il fit fonctionner à plein temps avec une exemplaire politique d'exigeante radioprotection. Logé dans l'hôpital, il créa et dirigea les gardes permanentes de radiologie et gagna très vite ses galons d'urgentiste auprès des internes qui le cooptèrent comme senior et en firent l'une des personnalités les plus populaires de la médecine hospitalière de Rabat.

 

Très vite, Jacques Gillet fit de la radiologie une discipline enviable et respectée à laquelle il convertit de très nombreux étudiants des deux sexes dès l'externat.  Enseignant dans l'âme mais longtemps localement le seul, il trouva le support d'universitaires issus de la réforme Debré (Professeur Guy Pallardy). Ils reçurent ses élèves pour de longs stages formateurs dans le CHU de Paris et lui les accueillit dans le cadre de missions pour qu'ils délivrent à Rabat des cours et des travaux pratiques à sa jeune faculté de Médecine. A Casablanca, un accord similaire existait avec Nancy. Jacques Gillet modélisa le profil de ses meilleurs internes pour en faire des chefs de clinique puis des professeurs. A l'instar de sa première agrégée, le professeur Farida Imani, nommée en 1977, ils/elles devaient être internes des hôpitaux, avoir exercé au moins une année en médecine et en chirurgie et avoir été reçu à l'examen national final du certificat d'études spéciales français. Immédiatement il n'eut d'autre soucis que de la promouvoir aux plus hauts postes de responsabilité en s'effaçant le plus possible pour lui permettre d'affirmer sa légitime autorité. La Société Marocaine de Radiologie fut fondée cette année-là et cinq ans plus tard, cinq de ses élèves devenaient professeurs. Jusqu'à sa retraite et après son retour en France en 2000, il resta le mentor auxquels tous et chacun savaient se référer dans les phases de doute et se réjouir de leurs succès ; il fut le tuteur perspicace qui savait détecter les talents et éclairer les destinées hésitantes.

 

Jacques Gillet fut l'inverse d'un colonisateur esclavagiste. Homme libéral et dénué de la tendance autoritariste du caricatural paternalisme mandarinal, médecin de la meilleure tradition hippocratique, excellent diplomate et polyglotte immensément cultivé, chrétien catholique convaincu sans sectarisme, il jouit durant toute sa vie marocaine et au-delà d'une autorité naturelle auprès de toutes les catégories professionnelles qui lui étaient rattachées voire qu'il avait générées sans aucune discrimination religieuse, raciale ou sexuelle. Rien ne le rendit plus fier que d'évoquer la liste de ses élèves qui eurent la charge d'organiser l'International Congress of Radiology de 2008 à Marrakech, notamment sa présidente, le professeur Farida Imani, et son fils spirituel, le professeur Abdelhafid Sbihi, brillant radiopédiatre de Rabat, président du Conseil scientifique ; sa fierté fut également d'avoir aiguillé le professeur Najat Boukrissi, sa fille spirituelle vers la neuroradiologie, le Professeur Belyamani vers la radiologie d'intervention dès 1978 ; son dernier chef de clinique également formé à l'hôpital Necker, le docteur Mohammed Cherkaoui, est le chef de service d'un très grand hôpital international de Rabat. Autre sujet de fierté, les cinq cents techniciens de radiologie qu'il forma dans une école qu'il avait créée en 1967 et dont il assura l'enseignement lui-même pour en faire des radiographers à l'anglo-saxonne sans pour autant déclencher des antagonismes corporatistes tant les besoins étaient criants ; dispersés sur tout le territoire, ils/elles assurèrent la production locale d'examens radiologiques de base en attendant qu'il y eut assez de radiologues qualifiés formés pour les encadrer ; il fit d'un jeune infirmier sans qualification, Mr Belhadj, son premier vrai « manipulateur » de radiologie puis son premier surveillant-général.

 

Jacques Gillet aura-t-il été plus marocain que les Marocains eux-mêmes ? Il n'entama jamais la procédure qui lui aurait permis d'acquérir une double nationalité et ce faisant, d'être nommé professeur de radiologie français à titre étranger. Il se contenta d'intensément aimer le Maroc, d'en être aimé comme il sut le faire aimer par tous ceux et celles qu'il accueillit à Rabat pendant un demi-siècle. Invité tous les ans par les rois du Maroc à l'occasion de la célébration de l'indépendance, il fut promu Grand-Officier du Ouissam Alaouite, la plus haute distinction accordée à un étranger.

 

Que la France lui offrit-elle ? A titre civil, la rosette bleue d'officier de l'Ordre national du Mérite et les Palmes Académiques. En 1980, le Cercle des Enseignants de Radiologie de France reconnut sa valeur en créant pour lui et deux de ses collègues (Drs José Remy et Jacqueline Vignaud) le titre aujourd'hui pérenne de Membre associé. La Société Française de Radiologie l'a honoré en 2011 de sa Médaille d'honneur pour la globalité de son œuvre d'une densité exceptionnelle. Toujours généreux et chaleureux, il fut un ardent supporter de la fondation de l'Académie des Sciences, Arts et Technologies de l'Imagerie Médicale (ACSATIM) et du combat de l'Association des Amis du Musée de l'AP-HP (ADAMAP) pour son transfert dans l'Hôtel-Dieu ; il fut administrateur de l'Association des Patients du Centre Médical de Forcilles.

 

Ceux et celles qui eurent l'honneur d'entrer dans le cercle d'amitié intime de Jacques Gillet connaissaient de longue date sa fidélité, sa loyauté, sa générosité, sa chaleur, son amour de la vie, son inaltérable santé. Lorsqu'après avoir perdu son épouse, le cancer s'y attaqua il y a deux ans, il les édifia par sa lucidité et son stoïcisme qui l'accompagnèrent jusqu'aux dernières heures de sa vie.

 

Les obsèques ont été célébrées le 3 septembre 2013, à l'église Saint-Pierre du Gros Cailloux, 75007 Paris.

Professeurs Jean-François Moreau et José Remy, Académie des Sciences, Arts et Technologies de l'Imagerie Médicale (ACSATIM), Paris.

Hommage de l'Adamap à Jacques Gillet, radiologue
et Patrick Pellerin, pharmacien

 

A RAVENSBRÜCK

LA PHARMACIE DE MARGUERITTE CHABIRON
A VERDELAIS ETAIT DANS CET IMMEUBLE

LES RESISTANTES S'ENFUIRENT PAR LE JARDIN A PIC