Dernier enregistrement par Jean-François Moreau - DÉFINITIF LE 9 DÉCEMBRE 2013 - 11:00

 

Je rencontre Maurice Tubiana (1920-2013) pour la première fois à la Maison de la Chimie lors d'une des deux maigrelettes Journées Françaises de Radiologie d'octobre 1967 ; de la tribune où siège une brochette d'apparatchiks chenus et râblés, je vois s'extirper un élégant, svelte et brun quadra qui présente Gabriel Fletcher, un radiothérapeute du MD Anderson Hospital, Houston, Texas, en s'exprimant dans un anglais châtié. Je ne le revois qu'en 1974 ; il est membre du jury du concours présidé par Jacques Lefebvre qui inscrit entre autres François Eschwège et moi sur la liste d'aptitude aux fonctions de maître de conférences. En 1976, j'ai la démonstration de sa souplesse féline quand il me fauche Le Quotidien de Parisque je tiens dans mes mains croisées derrière mon dos lors de ma première AG du Cercle des Enseignants en Radiologie de France qu'il contribua à fonder. Je suis invité en 1978 au dîner offert par Antoinette Béclère aux membres de droit du Centre Antoine Béclère que va présider Maurice Tubiana assisté d'André Bonnin et François Eschwège.

 

En 1985, je décline la Présidence de l'International Congress of Radiology (ICR), pour cause d'immaturité carriériste congénitale et d'activités scientifiques prometteuses à concrétiser avec une trop petite équipe à l'hôpital Boucicaut-Vaugirard dont je vais prendre la chefferie ; c'est pourtant une offre « normale » que m'ont faite Jean-Michel Bigot et Michel Bellet de Brest, puisque je suis à l'origine du projet qui ferait de Paris la capitale de la radiologie mondiale en 1989 ; mes candidats radiodiagnosticiens pour cette fonction n'ont pas l'heur de leur plaire et inversement. François Eschwège, troisième larron de « la bande des Quatre » gérant le dossier de candidature, me téléphone pour me proposer Maurice Tubiana dont il est le très loyal et talentueux adjoint ; j'adhère immédiatement à cette idée quoiqu'on ne manquera pas de vite me prédire que « les radiothérapeutes vont nous emm... ». Bigot et moi le rencontrons dans son impérial bureau du dernier étage de l'IGR pour lui en faire l'offre officieuse ; il en est flatté et ne dirait pas non si notre offre était validée par la Société Française de Radiologie en octobre 1984 ; je ne tiens pas compte de sa réflexion en loucedé nous avertissant loyalement qu'in fine, il ne serait pas la potiche que nous pourrions alors escompter ; il pressent réticent le clan des radiodiagnosticiens qui le sera effectivement quelque temps. Lorsque ma confidente favorite, Thérèse Planiol, qui connait Tubiana depuis que Robert Debré le nomma mentor pour sa thèse, apprend ce choix, elle exprime sa pensée par une muette série de sourires variés ; je ne comprendrai que plus tard ce qu'ils sous-entendent. Nous gagnons le challenge au premier tour de scrutin à Honolulu à ICR'85 et le premier étonné est Tubiana lui-même, comme il me l'exprime lors du déjeuner en tête-à-tête qu'il m'offre le surlendemain du vote.

 

À partir de maintenant, lecteurs, sachez que je vais vivre avec Tubiana pendant quatre ans une aventure exceptionnellement romanesque dont nous ne ferons pas la même relation, lui, dans son autobiographie parue chez de Fallois en 2007, moi, dans la mienne encore en cours de rédaction. Je crois avoir tout appris de l'ADN des ICR de la bouche d'Antoinette Béclère et de Jean-René Michel dont je fus les adjoints tant à Necker (1971-1982) qu'au Centre Antoine Béclère (1975-1977) ; j'ignore que le Président du congrès à venir devient le President-Elect de l'International Society of Radiology (ISR) ; sinon, jamais Tubiana n'aurait été à la tête d'ICR'89. ICR'85 est un désastre, son président américain décède et l'ISR sombre dans une crise dramatique mettant en péril la viabilité d'ICR'89. Qui va sauver l'ISR ? Tubiana, qui fait un putsch pour prendre la présidence de l'ISR par anticipation en 1986 ? Moi, qui ai été régulièrement nommé President of the ISR Radiodiagnostic Section et donc son adjoint direct? Les deux sans nul doute, mais, à mon tour, je ne serai pas sa complaisante potiche. A partir de 1988 et alors que la Radiation Oncology se sera séparée de l'ISR l'année suivante, va-t-il croire que je veux lui prendre sa place ? Il se tromperait car je deviens chef de service à Necker et une harassante charge m'y attend. Nous nous en entretenons un soir de 1990 dans mon bureau, alors qu'il préside la Commission Raillard et qu'il a des soucis avec un Canadien totalement hostile au maintien d'un thérapeute à la présidence de l'ISR ; je ne suis plus là pour faire le tampon. Je reviens à l'ISR en 1994 comme trésorier jusqu'en 2000. Je lui fais obtenir la Fuchs Lecture d'ICR'96 de Beijing que j'ai créée en même temps que la Béclère Lecture & Medal, toutes financées par les intérêts du Béclère Funds qu'Antoinette a généreusement légué à l'ISR avant son décès en 1980 ; il en profite pour visiter la cavalerie en terre cuite de Xi'an, récemment ouverte au public.

Absente dans les notices nécrologiques de l'automne 2013, la relation ambiguë entre Maurice Tubiana et la radiologie mériterait un dossier spécial. S'il y œuvra souvent pour le meilleur, elle lui fut non moins souvent pénible comme elle le fut pour les radiodiagnosticiens qu'il n'apprécia que modérément ; y fit exception le brillant Clément Fauré qui fut, avec Bernard Pierquin, fils de radiologue, son compagnon de sous-colle pour le concours de l'attachât des hôpitaux, préalable dérisoire mais incontournable pour prétendre à l'inscription ultérieure au Bureau Central qu'on lui refusera. Ce fut par le biais du titre de professeur agrégé de physique médicale qu'il fut intégré au corps des électroradiologistes hospitalo-universitaires plein-temps de la loi Debré, qu'on appellera plus tard PU-PH par le biais des lois Savary de 1983. La même année, le Premier ministre le nomma au conseil de médiateurs dans le conflit des centres hospitalo-universitaires en compagnie du doyen Jean Rey et des conseillers d'État Pierre Shopflin et Jean Terquem; "L'indépendance et la compétence de ce conseil sont ainsi assurées", affirme alors le communiqué ministériel.

Si je peux être le thuriféraire de Maurice Tubiana en tant qu'inconditionnel du vaillant parangon du « lobby du nucléaire », il appartient à François Eschwège, qui fut son adjoint et son successeur à l'IGR comme au Centre Antoine Béclère, de faire l'éloge du cancérologue. L'homme, rationaliste convaincu et opposé à l'engagement politique partisan, ne croyait pas à la vie éternelle après la mort, contrairement à moi qui ai « cette chance » chevillée au corps, me dit-il lorsque je l'interviewais pour L'Internat de Paris et le dossier du XXe anniversaire de Tchernobyl ; François Mitterrand, tout en communiquant avec les forces de l'esprit, apprécia le conseiller éclairé qu'il consulta souvent et inspira peut-être de l'au-delà ; on ne peut qu'être admiratif devant la foisonnante activité philosophique et sociale que, durant les dix-huit dernières années de sa vie, développa Maurice, comme je l'appelais quand nous nous exprimions en anglais à l'ISR. Il me plait d'autant plus de savoir son nom gravé dans le marbre de la renommée à l'Académie Nationale de Médecine et, grâce à l'« Espace Maurice Tubiana », à l'IGR.

 

Jean-François Moreau, (promotion 1965)

publié dans L'Internat de Paris, n°76, décembre 2013

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