Extrait d'Ulcère cérébral. Mémoire éclatée. Paris - Jean-François Moreau éd. Pp 47 & 49-50.
A ce moment de ma relation où j'aborde mes contacts avec l'Asie, je tiens à préciser que je ne suis nullement indifférent au respect des droits de l'homme partout où je vais dans le monde. Mon distingué collègue de Besançon, Francis Weill, qui fut président de la Wfaumb dans les années 90, souhaitait instamment que je participe au boycott de la RP de Chine pour raison d'irrespect à laquelle se ralliaient alors beaucoup de scientifiques. Il savait que j'allais activement engager la Sfaumb et l'Isr dans cette nouvelle approche de l'imagerie chinoise et il y était défavorable. J'abordai cette question avec mon ami Tokuro Nobechi, le leader de l'imagerie nippone qui m'avait puissamment aidé à raccorder l'Asie à ICR'89. Sa réponse fut claire et je la soumets aux experts des civilisations asiatiques. «La Chine n'a jamais respecté les droits de l'homme. Nous le savons, nous avons été deux fois en guerre avec elle et fort heureusement nous avons gagné. Il faudra très longtemps pour qu'elle les respecte. En attendant il faut y aller tout en faisant attention.» Et il me conseilla quelques lectures initiatrices pour m'éclairer. En Chine, comme ailleurs dans le monde et plus spécialement en Asie, j'irai avec l'intelligence du coeur plus souvent qu'avec la littérature, faute de temps pour en faire l'exégèse. On ne me reprocha jamais d'avoir visité Taiwan plusieurs fois et vice-versa, mon, passeport en faisant foi. Nul davantage que le leader de la radiologie chinoise Dai Jian-ping ne m'a informé autant sur la misère qui règne dans la campagne, une fois franchi le périmètre circonscrit par la Grande Muraille.
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Lors d'ICR'94 à Singapour, j'avais rejoint le Board of Officers de l'ISR, après quatre années d'absence consacrées au lancement du nouveau Département d'Imagerie de l'hôpital Necker dont j'avais pris la chefferie en 1988. Dès mon retour aux «affaires», je m'empressai de consolider la position morale très forte que la fille d'Antoine Béclère, Antoinette, avait offerte à l'ISR, en la dotant à sa mort en 1980 d'une somme considérable chiffrée en mégafrancs suisses gérée par le très avaricieux Walter Fuchs, le générateur de la crise de 1985 ci-dessus évoquée. Maurice Tubiana, Président de l'ISR et du Centre Antoine Béclère, et son bureau avaient envisagé alors une action en justice destinée à récupérer cette donation pour éviter qu'elle ne soit captée par les Américains à leur profit. J'avais trop travaillé avec Antoinette pour ne pas savoir qu'elle avait délibérément exclu les radiologues français de tout pouvoir décisionnel sur la gestion de ce pactole. Elle les méprisait profondément, moins pour leur paresse intrinsèquement incurable que pour leur absence de la scène internationale. Il est non moins vrai que nul mortel ne pouvait égaler son père, un génie indiscuté à ses yeux comme aux nôtres. J'avais donc agi pour trouver des solutions qui ne trahissent pas l'esprit de la donatrice que je respectais profondément pour son intransigeance justifiée, sans pour autant nous couper de l'indispensable collaboration transcontinentale. Antoinette tenait par dessus tout à ce que l'on oubliât pas son père, le créateur de la Radiologie Médicale fondée sur l'abord clinique du radiodiagnostic et de la radiothérapie, dès 1900. J'obtins sans difficulté de l'ISR la création d'une Béclère Medal doublée d'une Béclère Lecture à chaque ICR biennal et d'une Fuchs Lecture attribuées à chaque ICR devenu biennal, en tant que marques d'honneur suprême de l'ISR. Leurs premiers titulaires, honorés lors d'ICR'96 à Beijing, seront respectivement Frederick Palmer, un Rhodésien de l'UC San Francisco, pour son action pédagogique en Afrique, le physicien américain Gerald Hanson, en charge de la radioprotection à l'Organisation Mondiale de la Santé et Maurice Tubiana, de l'Institut, ancien Président de l'ISR et d'ICR'89.
Le décès soudain du charmant Rhodésien devenu Canadien Derek Harwood-Nash - après ceux de Walter Fuchs et de Joachim Burhenne qui venait juste d'obtenir qu'ICR'96 se tienne non pas à New Delhi mais à Beijing, sur demande expresse de l'industrie européenne, - ouvrait une guerre-éclair de succession pour le titre de President-Elect de l'ISR, au printemps 1995. Elle se déroula lors du Comité Exécutif de l'ISR tenu à Kuala Lumpur, en Malaisie, sous la présidence du Singapourien Lenny Tan, successeur de Maurice Tubiana. Le trésorier américain Joseph Marasco était candidat, comme moi qui n'avais aucune chance. Marasco élu, la place de trésorier était libre, ce qu'il n'avait pas plus envisagé que ses complices sidérés. Je la réclamai sur le champ et la gagnai par KO technique. Immédiatement, je demandai des comptes sur l'état d'avancement d'ICR'96, notamment la liste des conférenciers invités. Nul ne savait ce qui se passait à l'exception de Lenny Tan et du délégué chinois Dai Jiang Ping, cependant tous deux fermés comme un banc d'huîtres. J'exigeai d'être commissionné pour me rendre sur le champ à Beijing, puisque je savais que le congrès national chinois était programmé juste après celui de Kuala Lumpur. Profitant de la confusion et malgré l'hostilité de Tan, j'obtins un ordre officiel de l'ISR, au grand embarras de Dai. Les Chinois n'aiment pas les scénarios improvisés, mais ils savent s'adapter et évoluer avec pragmatisme. Sans aucune préméditation, j'avais quitté la France, avec dans mon dossier Asie, une lettre d'invitation du président d'un congrès d'ultrasons à tenir en août 1995 également à Beijing. Je la montrai tant à l'Ambassade de la République Populaire de Chine pour obtenir un visa qu'à la compagnie d'aviation Malaysian Airlines pour acheter à mes frais un billet d'avion en première classe. Nul n'y fit attention. J'obtins les deux sans difficultés et embarquai sur le même vol que la délégation chinoise, à la tête ahurie de Dai qui voyageait en classe touriste. Les Chinois n'apprécient guère plus l'imprévu qui les démonte que les Japonais qu'il panique. Les difficultés commencèrent vraiment au contrôle de police d'immigration à l'aéroport de Beijing. Privilège de la première classe, j'étais sorti le premier et fus bloqué par un préposé intransigeant, une fois découverte ma supercherie par son regard inquisiteur impossible à berner. C'était l'anniversaire des évènements de Tien-an-men et la ville était bouclée. J'attendis, amusé et à peine anxieux, que se présente Dai à son tour. Il ne fallut pas trente minutes pour que je reparte dans le bus de la délégation chinoise jusqu'au Beijing International Hotel où j'étais logé avec les conférenciers étrangers invités officiels du congrès national chinois qui me traita avec les plus grands égards, vus mes antécédents liés au succès d'ICR'89. J'y fis enfin la connaissance d'une personnalité originale de la radiologie américaine dont l'influence en Asie dépasse le cadre de sa seule discipline. Anne Osborne est une excellente neuroradiologue pratiquant à Salt Lake City dans l'Utah, donc de religion mormonne. La secte, très active en Asie, voit ses adeptes croître exponentiellement, car l'un de ses préceptes majeurs est d'accorder le pardon rétrospectif aux plus lointains ancêtres des convertis, quels que furent leurs péchés; fait objectif, les mormons sont aussi d'excellents commerçants; ils sont donc très bien vus en Chine comme ailleurs en Extrême-Orient. Anne en l'occurrence est une fort belle femme blonde dont le charisme naturel en impose à tous, les voltairiens comme moi inclus. En tant que Chairwoman de la Commission Pédagogique de l'ISR, elle aurait dû être avec nous à Kuala Lumpur. Amie de Lenny Tan, elle s'en était bien gardée, puisqu'elle était en train de tranquillement donner l'exclusivité des conférences d'ICR'96 à ses labadens de l'Allied Forces Institute of Pathology de Bethesda - dont je portai là le polo offert lors de mon Visiting Professorship dans cette remarquable institution l'année précédente, ce qui l'interloqua! -, sousun label General Electric MedicalSystems à peine déguisé, histoire de contrer l'appétit des Allemands et les Bataves pour le marché. J'obtins ce que je voulais, un vrai programme scientifique international en anglais. Il recueillera un succès d'estime encourageant pour le futur de l'ISR. Succès léger si on le compare avec celui du cours d'Anne Osborne sur le scanner qui fut suivi par plusieurs milliers d'auditeurs fascinés par l'oratrice. Succès scientifique et politique car je réussis à introduire des sujets épineux qui faisaient vraiment peur en Chine, l'imagerie fœtale et la télémédecine notamment.