L'huile iodée (lipiodol) en radiologie. Les premières années d'expérience : 1921-1931

Bruno Bonnemain
Bonnemain Bruno. L'huile iodée (lipiodol) en radiologie. Les premières années d'expérience : 1921-1931. In: Revue
d'histoire de la pharmacie, 88e année, N. 328, 2000. pp. 493-508.


Voir l'article en ligneL'emploi des produits de contraste radiologiques métalliques s'avéra nécessaire dès que Röntgen découvrit les quatre nuances de gris sous-tendant la physico-chimie de l'image photographique des volumes corporels traversés par un faisceau de rayons X. Les pionniers tirèrent parti de la visibilité des métaux utilisés dans la pratique de la thérapeutique clinique, les sels de bismuth et d'argent notamment. L'iode n'apparut que tardivement.

 

Au départ, il y eut la préparation liposoluble du Lipiodol en 1905 synthétisée par l'interne en pharmacie Marcel Guerbet pour traiter l'arthrose et l'athérosclérose ; il sera utilisé tout au long du XXe siècle pour l'opacification des cavités extérieures (laryngographie, bronchographie, hystérographie, fistulographies... et vers 1950, la lymphographie). Ses potentiels radio-opaques stimulèrent dès 1914 l'imagination du père spirituel de la neuroradiologie, Jean-Athanase Sicard, mais seule la sérépendité explique le succès de Jean Forestier dans sa découverte en 1921 du principe de la sacco-radiculographie au lipiodol, suivie de la myélo-ventriculographie par ponction lombaire.

 

Jean-Athanase Sicard  (1872-1929) était médecin de l'hôpital Necker et professeur de pathologie médicale. Neurologue, il se passionnait pour le traitement des douleurs, notamment des lombalgies qu'il traitait par l'injection épidurale de lipiodol, préparation iodée de l'huile d'oeillette mise au point par Marcel Guerbet en 1901. Jacques Forestier (1890-1978) fut son interne en 1921 et pratiqua cette méthode. Etait-elle trop longue? l'aiguille traversa la dure-mère. Un cliché radiographique lombo-sacré inopiné révèla l'opacification du cul-de-sac dural, dessinant en clair les racines du plexus nerveux lombaire; ils constatèrent également la mobilité du produit dans les espaces sous-arachnoïdiens et ce, sans dommages apparents au bout de 48 heures. Comme le prouve une note parmi tant d'autres sur ses légendaires petits carnets, J-A Sicard savait depuis longtemps que le lipiodol était radio-opaque et songeait à faire faire un travail sur ce thème. C'est toutefois cet accident qui initia le processus qui devait avoir une influence cruciale, non seulement sur le développement de la neuro-radiologie, mais aussi sur les applications de l'iode au radiodiagnostic. 

 

Après avoir appliqué le lipiodol au diagnostic des compressions médullaires, Sicard encouragea Jacques Forestier à exploiter l'opacification de l'arbre trachéo-bronchique et des cavités utéro-annexielles : ce furent la bronchographie lipiodolée et l'hystéro-salpyngographie; ils injectèrent le lipiodol dans toutes les cavités et tuyaux du corps humain, y compris l'urètre et les vaisseaux sanguins, après quelques tests sur l'animal. Ils décrivirent la miliaire lipiodolée. Jacques Forestier invita ou mit au point de nombreux instruments pour réaliser ces nouvelles techniques. L'Académie de Médecine leur décerna le Prix George Dieulafoy en 1924. Encore interne, Jacques Forestier fut invité à présenter ses travaux aux Etats Unis et au Canada à deux reprises, initiant la destinée mondiale du lipiodol et la fortune des laboratoires Lafay-Guerbet. La vie de Jacques Forestier est un roman d'aventure. Jacques Arlet en a fait une biographie qui révéle un homme exceptionnel. Jacques Forestier était issu d'une famille de médecins thermalistes d'Aix-les-Bains. Après une guerre héroïque, il mena de front des études de médecine et une carrière sportive, gagnant notamment , avec l'équipe de France de rugby, une médaille d'argent aux Jeux Olympiques de 19?? Montagnard infatigable, Jacques Forestier, pour ne pas déroger à la promesse faite à son père de lui succéder, dédaigna les propositions de carrière parisienne que J-A Sicard lui offrait à Necker, pour retourner à Aix les Bains. Il devint l'un des fondateurs de la rhumatologie par le biais notamment de la Ligue Française du Rhumatisme. Necker et la médecine parisienne ont perdu un très grand homme, père de la chrysothérapie et de deux maladies rhumatismales. 

 

Le retentissement de la radiologie au Lipiodol fut considérable. De ce fait, les deux voyages aux Etats-Unis qu'y fit Jacques Forestier, furent des triomphes. Très humoristiquement, Arlet conte la pingrerie de la France qui lui accorda un statut de missionnaire mais à titre gratuit; les Américains payèrent, la bourse familiale aussi. Parfaitement anglophone, Jacques Forestier fut un des premiers thuriféraires de la qualité de la médecine à l'Américaine, sans grand succès d'ailleurs,. Il eut l'audace de l'exposer dans la Presse Médicale (?), à son retour, et de s'offrir des hommes fameux, tels  Babinski et ???, comme ennemi. Il fut nommé "Honorary Fellow of the American College of Radiology" (?) et surnommé là-bas "Doctor Lipiodol". La renommée de J-A Sicard et de son brillant élève Jacques Forestier fut telle qu'un futur Prix Nobel, le neurologue Portuguais Egas Moniz, vint lui présenter, à Necker en 1928, ses travaux sur l'angiographie cérébrale. Quelques démonstrations furent faites sur des malades, avec un bonheur d'ailleurs inégal. Rétrospectivement on peut considérer que Sicard et Jacques Forestier furent les vrais pères de la radiologie contrastée. Ils sont passés très près d'un Prix Nobel que l'immense portée de leur découverte aurait parfaitement justifié. Peut-être l'auraient ils eu si Jean-Athanase Sicard n'était décédé en 1929 et si Jacques Forestier avait été moins respectueux de l'engagement de la parole donnée.

6 janvier 2020, Bruno Bonnemain précise l'état-de-l'art du Lipiodol:

Enfin, concernant le Lipiodol, il poursuit son bonhomme de chemin. Grâce aux travaux de Konno au Japon au début des années 1980, il est maintenant couramment utilisé en chimioembolisation selon les guidelines établis depuis aux Etats-Unis et en Europe. Il est également très utilisé pour le repérage du ganglion sentinelle dans le cancer du sein et de très nombreux travaux ont été publiés dans ce domaine. Ceci a conduit à obtenir des AMM tant pour la chimioembolisation (NDA obtenu aux USA il y a deux ou 3 ans) que pour le ganglion sentinelle dans de nombreux pays. Par ailleurs, son usage en hystérosalpingographie refait surface en raison de travaux très sérieux menés par une équipe en Hollande qui a montré que le Lipiodol dans cette indication conduit à une amélioration de la fertilité des couples. Ce n'est pas la première fois que c'est publié mais leurs travaux sont très solides. Le Lipiodol a encore, semble-t-il, de long jours devant lui !!

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