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THÉSARD, START-UP ET MICRO-BULLES

 

Jean-François Moreau (Promotion 1965), Jean-Michel Corréas (Promotion1988)

 

1.     LE VECU DU PATRON

 

L'un des grands succès d'un patron naît de l'opportune et harmonieuse conjonction d'un projet de recherche original et d'un individu ambitieux capable de le mener à bien sans se perdre. Une thèse de troisième cycle en sciences de la vie est un préalable à toute carrière hospitalo-universitaire, notamment par l'obtention de l'habilitation à diriger la recherche.

L'histoire du projet dont je vais faire le récit initial, illustre la part du hasard et de la nécessité dans l'accomplissement d'une idée novatrice par un jeune homme talentueux et hardi. En l'occurrence, l'avenir inéluctablement favorable des produits de contraste ultrasonores, encore inconnus ou méprisés en 1991, justifiait qu'on s'y investisse. L'individu clé fleurait la trentaine, sortait à peine de l'internat ; il était intelligentromantique, libre d'attaches contraignantes, curieux et ardent au travail clinique ; sa thèse révélerait ses potentiels en recherche scientifique et l'issue en serait la promotion au titre de PU-PH en radiologie.

 

En 1980, seule l'industrie des produits de contraste iodés était présente sur le marché et, avec les molécules de faible osmolalité, elle représentait un chiffre d'affaires mondial annuel d'environ 2 milliards de dollars (cf. encadré). On commençait à peine à évoquer l'irrésistible ascension de l'imagerie résonance magnétique. En 1987, j'eus la responsabilité d'organiser, à Montbazon, le 1er « Contrast Media Research Symposium », réunissant l'élite de la recherche universitaire mondiale et tous les staffs de « recherche et développement » des sept compagnies pharmaceutiques concernées. L'iode resta le principal sujet du programme, mais une large place fut faite aux dérivés connus du gadolinium, et à d'autres molécules encore expérimentales, dont la première molécule non ionique d'un certain S.Q. - the spirit of the Silicon Valley, pour le génial Milos S... - également promoteur du manganèse dans le paramagnétisme. Je fis aussi une petite place aux premiers essais de produits de contraste gazeux dont les pionniers récoltèrent plus de quolibets que de considération.

 

Quatre ans plus tard, je reçus une lettre, signée S.Q. signalant l'introduction d'une préparation révolutionnaire de produit de contraste échographique gazeux, le dodécafluoropentane (DDFP). S.Q. est un chercheur fondamentaliste à la fois docteur en médecine et en sciences lié alors à Stanford University. Très jeune, il bifurqua vers une carrière privée en créant une start-up dans la Silicon Valley pour synthétiser la molécule non ionique qu'il vendit plus tard fort cher à un laboratoire norvégien. S.Q. m'annonçait qu'il avait quitté la Silicon Valley pour Costa Mesa, au sud de Los Angeles, pour travailler sur l'imagerie échographique en phase gazeuse. Immédiatement, je vis là une fabuleuse opportunité pour mon équipe, très pointue en ultrasonographie, de prendre place dans le wagon de tête de l'échographie de contraste. Je répondis sur le champ par une lettre express signifiant mon intérêt pour le concept, ma confiance dans la capacité de Q... à induire une nouvelle fois une grande avancée de l'imagerie et lui proposer ma collaboration. Je proposai qu'un chercheur de mon équipe consacre une thèse de doctorat es-science sur sa molécule. Je ne craignais qu'une chose : être grillé sur le fil par une équipe américaine.

 

Je reçus sa réponse par retour. Ma proposition l'enthousiasmait. Personne ne lui avait fait une telle offre et il avait besoin d'un clinicien capable de conduire les procédures requises par la Food & Drug Administration (FDA) pour autoriser la commercialisation de son produit. Je n'avais pas donné de nom dans la première lettre. J'en avais bien sûr une idée précise. Encore fallait-il que l'élu accepte une aventure sans précédent dans mon histoire, donc qu'il me fasse intuitivement confiance. J'appelai sur le champ Jean-Michel Correas, qui avait été interne dans mon service, y avait fait un brillant DEA, couronné à Chicago par un « Cum Laude Award », et devait y revenir pour un clinicat de quatre ans et plus si affinité. Je lui fis un tableau très objectif des avantages et des inconvénients qu'il y aurait à accepter une telle proposition. Je lui interdis de me donner sa réponse avant deux jours de pleine délibération avec lui-même et ses proches. L'un des plus sérieux handicaps était une faiblesse dans son parler anglais que je minimisai, car je savais qu'il apprendrait vite. Les deux musts de la proposition étaient l'originalité certaine du sujet et l'absence de soucis financiers pour assurer son voyage et sa subsistance aux Etats-Unis pendant un an sinon deux. 

 

Deux jours plus tard, Jean-Michel me donnait son accord ferme et définitif. Je transmis son CV à S.Q. qui apprécia à la fois la compétence d'échographiste et le « Cum Laude Award » ; celui-ci sera décisif pour l'obtention du visa permanent, à une époque où le robinet du brain-drain était rétréci par la nouvelle administration Clinton. Très vite, il se rendit à Costa Mesa pour la discussion des préliminaires d'un contrat de recherche privé. 

 

S.Q. m'invita à Los Angeles quelques semaines plus tard pour éclairer certaines obscurités potentielles. Elles touchaient principalement à deux points. L'un était la méfiance de l'industriel vis-à-vis de l'universitaire, car il aurait pu y avoir (et il y aura constamment, d'ailleurs !) à redouter une difficulté d'entente sur l'exposé de résultats cliniques éventuellement défavorables à la molécule, donc à sa valeur commerciale. Une start-up est une structure de conception, à un degré moindre de développement, sans aucune préoccupation de fabrication industrielle ; son destin est d'être vendue au prix fort dès la fin d'une prometteuse phase II ou III. L'autre point à éclaircir tenait à la méfiance de l'universitaire à l'encontre de l'industriel quant à son désir réel de favoriser la gestation en une ou deux années d'un ouvrage scientifique aux standards universitaires du troisième cycle. Pour y voir plus clair, S.Q. me proposa de me conduire à San Diego où je devais donner une conférence chez George Leopold, chairman du département de radiologie de l'UCSD et fameux pionnier de l'ultrasonographie américaine. Ce dernier ne croyait pas au futur de la molécule de « Mister Bubble », mais je ne décernai chez lui aucune réticence sur le principe d'une collaboration d'un jeune chercheur avec la start-up. 

 

S.Q. s'avéra être un businessman acharné, ce qui n'est pas un mal en soi, mais sa base culturelle n'était pas tout à fait la nôtre. Je lui demandai de ne pas salarier Jean-Michel à un niveau tel que, de retour en France, il aurait du mal à se passer de l'opulence. Par contre, je le remerciai de lui donner les plus grandes facilités matérielles pour qu'il travaille sa thèse dans les meilleures conditions. Il respecta ces désirs et Correas passa près de deux années fécondes à Bothell, dans la banlieue de Seattle, une nouvelle et plus humide Silicon Valley où S.Q. installa son entreprise en 1993.

 

Plus tard, je serai vertement accroché par le très académique et très puissant chairman de Charlottesville, hostile au principe d'un Ph. D. obtenu dans l'industrie américaine sans fondement universitaire local. Je passai outre. Toute aventure est risquée. Celle-là plus qu'une autre mais le résultat me paraissait garanti. Je me protégeai moi-même, en prenant l'avis du Conseil de l'Ordre de Paris, quand je me vis bombardé Membre de l'Advisory Board de sa société pharmaceutique. Je passerai plusieurs années à protéger Correas des attaques contre la validité de ses résultats, a priori suspects, que j'allai vérifier sur place à deux reprises. Il lui appartient de raconter les avatars du Français candide en Amérique. Moi, je n'oublierai jamais le bonheur intense et le soulagement par nous deux éprouvés, lorsque nous exposâmes les résultats sur le rein, au Contrast Media Research Symposium de Kyoto, en 1997, et que j'entendis mon voisin australien, au départ sceptique voire soupçonneux, comme toute la soixantaine d'autres dans la salle d'ailleurs, dire « But, it works, indeed !» quand Correas fera le break en montrant une vidéocassette salvatrice. Mais entre temps que d'histoires !

 

À d'innombrables reprises, je dus intervenir à sa demande ou spontanément, pour maintenir dans le droit-fil de sa thèse, un Correas qui devenait au fil des épreuves un vrai lion, mais restait incorruptible L'avenir du dodécafluoropentane ne tint pas ses promesses, pour des raisons peu scientifiques car la formule est intrinsèquement bonne. Je le regrette, mais, dès le début, j'avais senti qu'il faudrait à Jean-Michel Correas plusieurs garde-fous en cas d'échec. La valeur de l'individu, comme clinicien autant que comme chercheur, le promut rapidement investigateur dans des protocoles de recherche initiés par d'autres groupes pharmaceutiques qui connaissent son parcours. J'obtins qu'il soit, en 1998 pendant un semestre, Visiting Professor à l'Université de Toronto pour qu'il n'y ait plus de contestation sur sa crédibilité scientifique et je m'en assurai sur place personnellement. J'eus le bonheur de faire partie en 1999 du jury qui consacra sa thèse de doctorat ès-sciences, présidée par Léandre Pourcelot, à l'Université François Rabelais de Tours, par la mention « très bien avec les félicitations du jury unanime ' . Il reçut également le « Prix Nycomed », le plus gratifiant des prix de la Société Française de Radiologie. Il passa Praticien Hospitalier Universitaire en 2000, dernière étape avant l'Habilitation à Diriger la Recherche et la titularisation...

 

En 2001, il n'y a pas, de par le monde, de réunion scientifique sur l'échographie de contraste et l'imagerie fonctionnelle ultrasonore sans que Jean-Michel Correas y soit convié. L'industrie pharmaceutique lui doit beaucoup et elle le sait. Il y a en effet un stade, dans la maturation d'un projet pharmaceutique vers le succès, qui ne peut passer de la recherche à un développement effectif et fécond que sous l'influence déterminante d'individus compétents, acharnés et honnêtes. En 1993, il fallait être un excellent échographiste, un très bon technologiste et un aventurier sans peur pour aller défendre avec succès et imposer un projet industriel, initialement sans crédibilité profonde, à des cliniciens peu ouverts à une tierce imagerie, alors qu'il fallait recruter des malades pour la Phase II de la FDA. Correas le fit et le fait encore avec d'autres partenaires qui investissent des millions de dollars ou d'euros dans cette recherche innovante mais encore aride. S.Q. n'a pas concrétisé son approche, mais d'autres filières le feront, quand certains brevets inhibants seront tombés en désuétude. Le puissant Allemand Schering, le premier à s'être impliqué dans la commercialisation à usage clinique de l'Echovist®, souffre avec son département d'imagerie ultrasonore, mais Correas est l'un de ceux qui ont su aider à en tirer une quintessence. Il travaille avec les laboratoires Bracco, Nycomed et Mallinckrodt pour des avancées cliniques de plus en plus fructueuses. Ni la radiologie iodée, ni l'imagerie fonctionnelle IRM ne se sont développées sans aléas. L'imagerie de contraste ultrasonore a le futur devant elle et le futur est déjà le présent dans quelques centres privilégiés.

 

 

2 LE VECU DU THESARD

 

Étudiant en médecine puis interne des Hôpitaux de Paris, la recherche en imagerie et l'enseignement de la radiologie m'ont toujours intéressé. Une carrière hospitalo-universitaire m'apparaissait comme un Sacré Grall, lointaine et inaccessible. Au décours de mon stage d'interne à l'hôpital Necker, je fis connaissance avec la recherche en laboratoire avec un sujet de DEA fondé sur une nouvelle méthode d'analyse automatique du rehaussement appelée « analyse factorielle » appliquée à l'IRM du rein transplanté humain. Ce mémoire réalisé dans l'unité INSERM U66 de R. Di Paola me passionna rapidement, car il combinait l'évaluation d'une méthode d'imagerie riche en information anatomique et tissulaire et le développement d'une approche fonctionnelle avec l'injection d'un agent de contraste non néphrotoxique. Cependant, je restais quelque peu sur ma faim car la possibilité d'approfondir ces recherches aurait nécessité un stage bien plus long que quelques mois. Je ne pensais pas du tout à l'époque à réaliser une thèse de science : son utilité paraissait quelque peu nébuleuse, et l'investissement en temps et énergie particulièrement élevé. De plus, l'insertion d'une telle thèse ne s'inscrivait pas dans le cursus du clinicat avec consistance.

 

Alors que, attaché en 1992, j'attendais que le poste de chef de clinique promis se libère, mon patron commença à me parler des agents de contraste ultrasonore et d'un possible voyage aux Etats-Unis. Le sujet, encore largement méconnu du monde médical aujourd'hui, m'était alors complètement étranger. Je commençai à enquêter discrètement, mais la littérature de l'époque (1991-1992) était limitée à quelques articles fondamentaux « très scientifiques » rédigés en anglais technologique. Pour un jeune radiologue, les potentialités de cette nouvelle méthode d'imagerie étaient indiscernables, quand le patron me proposa alors d'effectuer une thèse de science sur ce sujet et de partir aux Etats-Unis réaliser ce travail de recherche. Un débat m'agita car je venais de trouver un appartement et songeais sérieusement à m'installer en radiologie libérale ; le choix était difficile entre une vie française agréable et « pépère », et celle d'une aventure aux Etats-Unis dans un univers mal connu à des fins aléatoires.

 

La possibilité d'obtenir en France une bourse de recherche sur un pareil sujet paraissait très faible dans un laps de temps limité. C'est alors que le Pr. Moreau me proposa d'effectuer mon stage de recherche dans une petite société pharmaceutique américaine qui développait une nouvelle classe d'agent de contraste ultrasonore. Le pari n'était pas gagné d'avance puisqu'il fallait réussir à convaincre une équipe américaine de l'intérêt que je pouvais représenter pour eux. Cette approche atypique représentait déjà un véritable challenge, ce d'autant que j'étais conscient de la faiblesse de mon anglais. Il fallait donc passer avec succès un entretien d'embauche qui durerait 48 heures. S.Q., le directeur américain, m'avait pris un billet aller-retour pour Los Angeles et je débarquai en Californie sans avoir d'idée précise sur ce que j'allais dire et présenter à ce groupe de chercheurs d'un genre nouveau. 

 

L'entretien se déroula devant les directeurs de chacun des pôles de recherche de cette société et j'essayais d'exprimer avec mon anglais scolaire mon enthousiasme pour cette nouvelle technique d'imagerie, mais aussi mais les réserves et certaines limites que je pressentais. Dois-je avouer que je n'ai pas toujours bien compris certaines questions, en particulier lors des discussions concernant la chimie et la physique des gaz. Me faire comprendre ne posa pas de véritable problème, mais comprendre mes interlocuteurs fut une épreuve quand, en plein jet-lag et loin de l'anglais oxfordien, ils parlaient avec l'accent hindou ou vietnamien... 

 

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, à la fin de ce séjour de 48 heures qui m'avait paru laborieux, S.Q. m'invita à rejoindre ses « troupes » et me demanda ce que je voulais comme salaire. Prenant mon courage à deux mains, je proposai le double de celui d'un interne en fin de formation. Le regard incrédule de S.Q. me fit comprendre que le niveau demandé était inapproprié, mais, comme immédiatement il enchaînait « avant ou après impôt ? », je lui affirmai qu'évidemment qu'il s'agissait d'un salaire après impôt. Nous sommes rapidement parvenus à un accord et il me proposa de revenir aux Etats-Unis pour une période d'essai de deux mois à la fin de laquelle nous ferions un premier bilan. 

 

Mes fonctions dans cette entreprise restèrent vagues quelque temps. Je devais réaliser les premiers travaux de ma thèse de sciences tout en participant au développement d'un nouvel agent de contraste ultrasonore. Le projet concernait toutes les phases d'essais cliniques de I à IV. Le Pr Pourcelot, mon directeur de thèse, m'avait rappelé l'importance du travail « de paillasse » sera aise de savoir que j'aurais également à assurer un travail de laboratoire (développement de nouvelles techniques de mesure de la cinétique à l'aide de chromatographie en phase gazeuse). Ce projet global était fort ambitieux pour un jeune radiologue n'ayant jusqu'à présent travaillé que dans des services cliniques. L'exécution prit du retard car mon départ fut interminablement reculé, faute d'obtenir le visa de travail H3 qui mit neuf mois à arriver 

 

Les débuts aux Etats-Unis furent très difficiles. La barrière de la langue était le premier obstacle. Je comprenais environ 20 pour cent du langage de mes interlocuteurs. Au tout début, le téléphone était un véritable supplice, car je ne pouvais m'aider du déchiffrage sur les lèvres. Ma phrase préférée était alors « Just fax it !) ; et pour le reste, je restais d'un silence prudent. Le sous titrage pour sourd-muet à la télévision et l'immersion complète dans ce nouveau milieu me firent faire des progrès rapides et je maîtrisais suffisamment l'américain au bout de 3 mois. Il le valait mieux dans une entreprise aux dimensions de PME mais en brainstorming permanent. Le « keep cool, keep relax » de la Silicon Valley californienne n'avait pas cours à Bothell, WA. 

 

La direction de protocole de recherche par un médecin étranger aux Etats-Unis relève d'une gageure particulière, sachant que les conseils sont finalement d'autant plus mal acceptés que l'expérience échographique des médecins américains, sonographers obligent, reste très inférieure à celle d'un Européen. À titre d'exemple, je gagnai facilement le pari de l'examen écho-Doppler de l'artère rénale du lapin, celle-ci m'ayant été décrite comme impossible par un des grands échographistes américains. Au bout de quelques mois et pour ne pas gêner le développement du produit, on me fit comprendre qu'il valait mieux consacrer plus de temps à la recherche fondamentale ou animale...C'est ainsi que j'ai pu acquérir une expérience précieuse de l'échographie de la souris, du rat, du lapin, du chien, du singe, qui me sera utile lorsque mon retour à Paris, je serai accueilli par le laboratoire de Geneviève  On me donna d'ailleurs les moyens de travailler à cette fin dans plusieurs laboratoires remarquablement équipés du territoire nord-américain.

 

La seconde leçon que je tire de l'expérience est la nécessité de formaliser très rapidement les projets par écrit, avant que d'en parler autour de soi. En effet, les Américains s'emparent très rapidement de vos idées, les formalisent et vous re-soumettent le projet pour discussion. Bien évidemment, votre nom n'apparaîtra jamais plus sur ce projet. Au bout de quelques mois, je prenais de plus en plus goût à la vie américaine, particulièrement agréable quand on se trouve du bon côté de la barrière. Cependant, aux USA, le Français reste un ' curieux animal » ayant la réputation de disposer d'idées brillantes et d'être particulièrement doué pour réussir avec peu de moyens, surtout quand la situation est presque désespérée. Il arrivait qu'elle le soit ici plus souvent qu'à son tour.

 

La troisième leçon est celle du pragmatisme de la recherche d'entreprise, qui s'éloigne de la rigueur de l'universitaire. À plusieurs reprises, je participai à des staff-meetings où l'opinion du chercheur universitaire-salarié différait de celle de l'industriel - employeur.  (NDRL ; VOULEZ-VOUS DIRE QUE VOUS ÉTIEZ PRIS DANS UN DILEMME RÉSULTANT DE VOS DEUX CHAPEAUX ?) Rapidement, j'avais trouvé un compromis : j'oubliais le côté salarié pour ne dire que ce que je pensais (mais avec certaines formes). S.Q. appréciait mon franc parlé mais uniquement quand celui-ci était exprimé en tête-à-tête. Les décisions étaient lourdes de conséquence puisque, sur une opinion, une idée et quelques expérimentations rapides excluant des grosses séries, le développement de l'agent de contraste pouvait changer dans telle ou telle direction. Enfin, changement radicalement différent d'avec la France, les moyens adéquats étaient mis en route dès que la demande apparaissait appropriée : si un ordinateur avec carte d'acquisition vidéo était nécessaire, il était commandé dans la demi-journée, sans discussion inutile sur le budget. 

 

Au bout de quelques mois, je montai le protocole de la phase II destiné au dossier de la FDA. L'expérimentation traînait des pieds aux USA, on me confia d'abord la mise en place du groupe européen. Necker avait le leadership de l'opération qui m'initia à la bureaucratie interposée entre la recherche pharmaceutique appliquée et le commerce pharmaceutique. On alla très vite pour obtenir un avis favorable du CCPPRB de Necker, valable pour toute la France. Une réunion des six investigateurs européens à l'hôtel du Louvre aboutit rapidement à un accord consensuel. À mon retour en France, fin 1994, je me trouvai confronté à deux difficultés. La première fut de retrouver nos vieux échographes analogiques alors que tous nos collègues étrangers ne travaillaient plus que sur des échographes numériques ; il fallut faire des prodiges d'efforts pour tirer le maximum de notre virtuosité technique pour compenser notre handicap. Plus grave de conséquences, alors que Necker était en tête pour l'approbation de protocoles administratifs, les collègues cliniciens mirent longtemps avant de comprendre l'intérêt de cette magnification de l'échographie par le contraste gazeux. Les incorporations dans le protocole FDA, déjà ralenties par le nombre important des contre-indications préalables, arrivaient en nombre infinitésimal. L'ambiance changea lorsque l'on mit en évidence une hémorragie sous capsulaire post-biopsique sur un rein transplanté, avec la visualisation du jet sanguin pulsatile. Anglais, Italiens et Allemands nous avaient rejoints puis dépassés dans le temps. Mais l'honneur resta sauf. Le succès de Kyoto a été rapporté plus haut. Un Certificate of Merit couronnera l'ensemble du travail fourni par l'équipe à Chicago en 1998. Riche de l'expérience acquise dans l'approche de la FDA, je fus sollicité de participer à plusieurs présentations du produit de SQ, acquis sous licence temporaire par un grand laboratoire américain, pour l'obtention de l'AMM en France et en Europe.

 

CONCLUSION DU PATRON.

 

Ce qui doit arriver arrive... S.Q. obtint son « FDA approval ». Sa société fut cotée au Nasdaq.  Il vendit son produit à un grand laboratoire pharmaceutique puis se dégagea pour faire autre chose. Le Dr Corréas arpenta en dix ans un chemin qui le conduisit de l'état du jeune collègue pépère à celui de futur professeur, en passant par des pérégrinations sur les cinq continents où il s'est forgé une personnalité scientifique de stature internationale, desservant aussi bien les intérêts de sa discipline que ceux du génie national authentique. Ce ne fut possible que parce que le départ de son investissement dans un projet mirifique mais hasardeux s'est fait dans un milieu pharmaceutique privilégié. Sans l'Américain, S.Q. et sa start-up, son workaholism et ses dollars, rien n'aurait été possible, car je n'aurais trouvé en France ni l'argent ni le cadre pour créer un projet et le faire aboutir. Je n'avais pas d'autre projet en poche que celui des produits de contraste ultrasons. JM Correas aurait pu en sortir millionnaire en dollars et américain en citoyenneté. Rien ne le distingue extérieurement de ses congénères pépères.

A RAVENSBRÜCK

LA PHARMACIE DE MARGUERITTE CHABIRON
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