Jean-François Moreau            Page 1  14/12/13 (update)

 

MIREILLE FAUGÈRE, HÔTEL-DIEU ET MOI...


Il ne fallait pas être un grand clerc pour prédire que le sort de l'Hôtel-Dieu de Paris serait un des « hotest topics » des campagnes électorales parisiennes de 2014. L'un des trois plus vieux hôpitaux du monde,, - et de tous le plus monumentalement prestigieux - est devenu totalement inapte aux soins médicaux modernes. Mireille Faugère n'a fait que poursuivre la politique logique de ses prédécesseurs en fermant les derniers services d'hospitalisation ; je l'approuve en tant que médecin hospitalo-universitaire jubilaire à l'AP-HP depuis 2012, donc expérimenté, mais aussi comme malade polypathologique de plus en plus mal soigné dans les hôpitaux du « plus grand CHU d'Europe ».

Le très distingué Sir Anthony Eden ne redoutait que les événements. Les urgences de l'Hôtel-Dieu sont le caillou acéré dans la chaussure que les syndicats instrumentalisent par pur opportunisme conjoncturel. Sont-ils/elles décomposés ou immatures, ces politiques qui nous gouvernent ou aspirent à les remplacer en mars prochain ? Les têtes de listes aux municipales de droite comme de gauche slaloment malhabilement tant elles sont incapables de sortir des stratégies électorales périmées du XXe siècle plus tweets pour faire semblant d'être chébrants. La gauche plurielle s'est exprimé à l'Hôtel-Dieu au début de l'automne sous la forme d'un extrême bouillon brûlant aux croutons variés en 256 nuances de rouge et noir malaxés à la louche de bois de rose au poing ; la droite, confondant tweet et naviguer, avait prématurément enfourché le scooter des gauchistes pour un dérapage incontrôlé puisque la primaire de l'UMP avait refusé de parler culture et santé en avril. Nul n'ignore que c'est le problème global des urgences du Grand Paris qu'il faut résoudre dans le meilleur esprit hippocratique, totalement absent en ces temps technocratiques auxquels seule s'oppose la déviance démagogique la plus débridée, puisque l'incompétence stérilisante rame à vouloir copier des modèles américains périmés depuis des décennies.

Le projet dit Fagon-Lombrail transformant l'Hôtel-Dieu un Hôpital Universitaire de Santé Publique (HUSP) n'a jamais été sérieusement discuté sur la scène publique. Il répond pourtant à une impérieuse nécessité. Mireille Faugère a eu raison de l'adopter, mais elle n'était pas du sérail et le sérail est composé des auteurs et des acteurs en voie de pétrification qui ont naufragé l'Assistance publique à Paris devenue Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Le pouvoir au sommet avait un choix entre deux hypothèses : garder Mireille Faugère jusqu'à ce que les élections décident des futurs respectifs de Jean-Marie le Guen et de NKM à la tête du Conseil de surveillance de l'AP-HP - c'eut été habile -, ou la licencier - mais fallait-il la jeter sans élégance ? Confirmant sa politique de gribouille, le pouvoir en place a choisi une fois de plus de traiter la situation par une nouvelle (grosse) rustine symptomatique avec la nomination de Martin Hirsch, en se gardant bien d'établir un diagnostic clair et précis de la maladie chronique aux crises subintrantes qui affecte l'AP-HP depuis l'introduction du budget global au siècle dernier. Pendant combien de temps l'aspirine calmera-t-elle la fièvre ? Le pouvoir aurait-il oublié la prédiction de Georges Pompidou selon laquelle une révolution n'éclaterait plus en France que par un corps médical en piteux état?

Mireille Faugère a trouvé à son arrivée en 2010 une AP-HP dans un état de délabrement avancé, aggravé par une administration inapte à comprendre l'évolution précipitée du monde économique et social mondial vers une recomposition libérale aléatoire, mais déterminée, et elle-même contestée. Sa seule erreur à mes yeux - mais n'était-ce pas inscrit dans sa lettre de cadrage et l'ordre express ne vînt-il pas in extremis de Roselyne Bachelot sinon de Nicolas Sarkozy ? - aura été de vendre l'Hôtel de Miramion qui est la racine principale de l'AP-HP puisqu'il fut le premier siège social de l'Assistance publique à Paris en 1849. Contrairement à son prédécesseur qui en voulait la mort, Mireille Faugère reconnut l'importance morale du Musée de l'AP-HP et finit par accepter officiellement qu'il soit recréé dans l'Hôtel-Dieu sous une forme adaptée à la médecine moderne. L'extrême gauche - et combien d'autres technicolorisés avec elle - y est résolument hostile ; je le sais car j'étais à l'Hôtel-Dieu en observateur lors de la grande séance de mobilisation contre la fermeture des urgences. Fort heureusement, il reste encore, dans la France éternelle à la De Gaulle, des Parisiens bien éduqués qui pensent que seule la connaissance éclairée de son histoire permet à l'humain perdu dans le brouillard de se diriger vers son salut. L'AP-HP, en vendant ses bijoux de famille, vend son âme puisque les collections muséales et ses cent mille objets sont en caisse sine die à un tarif sans doute dispendieux ; d'aucuns pourraient en déduire qu'elle n'est plus qu'un fantôme à ensevelir dans l'ARS à la vitesse du curé de la Fontaine et les thuriféraires inconscients d'une AP-HP dépulpée n'auront plus que leurs blouses blanches en papier pour sécher leurs larmes.

Mireille Faugère fut-elle téméraire ou tout simplement courageuse en acceptant la fonction de Directrice Générale de l'AP-HP ? La rumeur court aujourd'hui qu'il n'y eut pas légions de postulants à la succession de Benoît Leclercq au milieu de l'année 2010 ; si elle était fondée, quiconque connaissant les profils des DG successifs depuis Gabriel Pallez, inspecteur des Finances, sait que le salaire et les avantages en natures sont confortables et que, si la retraite-chapeau n'existe pas, la reconversion ultérieure est quasiment royale ; il faudrait avoir l'esprit très vicieux pour penser que les défections énarchiques s'expliqueraient par la disparition du luxueux appartement de fonction installé dans l'Hôtel de Miramion par ledit Gabriel Pallez. Contrairement à l'AP-HP qui avait déjà perdu sa culture d'entreprise matriarcale avec le budget global, les 35 heures, les pôles et la loi Bachelot, Mireille Faugère y arriva-t-elle de la SNCF vêtue de probité candide et de lin blanc ? Pervers serait celui qui le penserait sans lui accorder le mérite de l'œil neuf. Il n'y a pas de naïveté chez une pure diplômée d'HEC qui a appris que le trompe-qui-peut est l'esprit de la loi d'airain du commerce. Les lettres de cadrage ne sont pas publiées et le seraient-elles que le pékin moyen ne connaîtrait que la partie émergée de l'iceberg.

Cette femme a d'immenses qualités que j'ai pu tester en tant que président de l'Association des Amis du Musée de l'AP-HP. Je le dis d'autant plus volontiers qu'elle fut à la fois - et parfois en même temps ! - mon alliée et mon ennemie dans cette lutte triennale intense pour la sauvegarde du Musée et de la mémoire millénaire de la lutte contre la misère humaine depuis Saint Landry et Louis VII dont a hérité l'AP-HP ; ne m'avoua-t-elle pas le 20 juin 2012, lors de la cérémonie de remise de la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur à mon ami Alain Laugier qui sera le dernier acte officiel de l'AP-HP à l'Hôtel de Miramion, que je ne lui avais pas facilité la tâche pour réaliser sa vente à Xavier Niel pour un prix à moitié inférieur aux espérances exprimées dans le Wall Street Journal, soit quelques 35 millions de méga-euros, à méditer eu égard au prix de vente de la tonne de cannabis dans le XIIIe arrondissement ; elle n'aurait pas apprécié cette comparaison non plus que la chanson satirique « De profundis Miramionibus » que j'avais composée à son adresse et qui fut podcastée... puis retirée de YouTube à mon insu et celui de mon ami José Remy qui l'avait hébergée sur sa page. Brocardai-je en son temps les bévues de mon ennemie à l'amour-propre blessé et non avertie de l'esprit carabin des AIHP restés gamins pour ne pas mourir raccornis ? C'est respectueusement que je salue aujourd'hui le courage hardi de mon alliée incluant un grand Musée dans le projet d'HUSP du nouvel Hôtel-Dieu.

Pourquoi le projet d'HUSP est-il rejeté par la plupart des catégories de personnels, soignants ou non, de l'AP-HP ? La dernière explication officieuse est fondée sur l'absence de grandes personnalités capables de transformer une ébauche en réalité tangible à construire et à gérer dans le cadre contestable et contesté du transfert du Siège dans l'Hôtel-Dieu. N'y aurait-il plus de Jean Hamburger ni de Robert Debré dans cet état-dans-l'état pachydermique, acromégalisé aux mains des obsessionnels assassins du « pouvoir médical » ? Comment expliquer cette évidence, à garder secrète bien entendu puisqu'officiellement tout le monde y est beau, gentil, compétent... mais inefficace dès lors qu'on dépasse l'exceptionnel individu isolé ou œuvrant dans le cadre exceptionnel d'un groupe bien structuré? Il est tellement plus facile de bêtifier l'égalité dans la basse médiocrité que de glorifier l'égalité dans l'excellence ! Martin Hirsch serait arrivé aux commandes pour promouvoir l'autocritique individuelle et collective suivie de la repentance libératoire de tout son personnel, à commencer par les médecins ; pourquoi pas, puisqu'il adopterait l'anxiolytique principe du « no shame no blame » en vogue dans le protestant Outre-Atlantique ? Pas dupes et sans dispenser le moindre état de grâce à l'égard du nouveau DG, les syndicats demandent à voir sa feuille de route avant de se réjouir sans réserves de son changement. Totale ou partielle, s'impose une explication pragmatiquement politique : surtout pas de vague avant la fin des temps électoraux du printemps 2014.

Il faut revisiter la pertinence des acronymes des institutions qui nous dirigent. J'ai pu constater, quand je parcourais Paris et sa banlieue pour collecter les premiers milliers de signatures de la pétition de l'Adamap durant l'été 2010, que, si le peuple sait ce que signifie l'Assistance publique voire l'AP, il ignore le sens d'AP-HP. Depuis la loi de 1975, la mission d'assistance publique au sens social du terme n'incombe plus à l'hôpital. L'AP-HP n'a pas le droit moral de s'appeler Hôpitaux de Paris puisque nombre d'entre eux échappent à son administration, y compris lorsque la ville qui flotte mais ne coule pas deviendra une mégapole avalant la moitié de l'Île-de-France. L'avenir de l'AP-HP s'inscrit-il dans son engloutissement par l'ARS ? Vous voulez dire l'Agence régionale... de la Santé ? Mais il n'y a plus de définition officielle de ce mot qui résume à lui seul le bien le plus précieux de l'être humain. Lycéen, j'ai accepté la pertinence juvénale du « mens sana in corpore sano », illustrée par Montaigne qui souffrit tant des reins en attendant «le silence des organes» selon Leriche, professeur au Collège de France en 1937, émule d'Alexis Carel dont il fut l'élève à Lyon. Étudiant en médecine, j'ai pleinement adhéré à la définition lumineuse de l'OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » ; je ne souviens de l'avoir enseigné dès mon premier cours d'hygiène aux élèves infirmières de Lariboisière que je faisais vibrer sur ce thème rejeté aujourd'hui comme barbant. Que l'OMS propose-t-elle aujourd'hui ? Rien ! La définition de 1946 a disparu du site officiel, toutes langues confondues ! Ladite AP-HP est donc depuis la loi Bachelot sous la tutelle de l'Agence Régionale d'on ne sait pas quoi ! Elle veut promouvoir l'HUSP - dont le prototype crédible est celui de Toulouse - qui est donc l'Hôpital Universaire d'on ne sait pas quoi Publique, apparemment mal considéré par la Ministre des Affaires sociales et d'on ne sait pas quoi, chargée d'optimiser les dépenses d'on ne sait pas quoi qui a un coût à défaut de prix. Il ne faut donc pas s'étonner que l'on fasse n'importe quoi pour administrer on ne sait quoi, notamment à l'AP-HP.

Le monumental Hôtel-Dieu de Paris doit devenir le Temple de la Santé à partir d'un Hôpital Universitaire de Santé Publique destiné à redonner aux populations du monde une nouvelle définition de ce trésor dont les bases ont été édictées par Hippocrate de Cos lors du siècle de Périclès. L'urgence est grande car il est exclu que la planète se porte bien spontanément et pacifiquement quand les Terriens sont censés passer de six à neuf milliards d'individus en un demi-siècle. Il faut placer cet HUSP sous les auspices de l'OMS et de l'UNESCO à parties égales. Car Santé et Culture vont de pair et il faut rappeler que la médecine fut et reste un art avant d'être une science et qu'il n'y a pas d'humanisme de progrès sans une farouche et tenace volonté d'éduquer toutes les couches d'une société World Heritage Sites and Sustainability où que ce soit dans le monde. L'Hôtel-Dieu doit et peut accueillir le millénaire patrimoine matériel et immatériel richissime dont l'AP-HP est la négligente héritière ; développant la réalité virtuelle, il doit construire un Musée virtuel universel qui se liera par Internet aux Musées de la Santé, de la Médecine et de l'Hôpital et une école de Télé-éducation grâce à des Chaires UNITWIN/UNESCO.

Classons donc l'Hôtel-Dieu de Paris au Patrimoine Mondial de l'UNESCO et fonçons grâce à la célébration opportune de son 850e anniversaire en 2015 après celui de Notre-Dame de Paris. Relions à lui les nombreux Hôtel-Dieu de France, d'Europe et d'ailleurs. C'est la mission que porte en elle l'Académie des Sciences, Arts et Technologies de l'Imagerie Médicale (ACSATIM) en direction du monde entier sous la forme d'une nouvelle discipline : la Muséologie Hospitalière.. ■

 

A RAVENSBRÜCK

LA PHARMACIE DE MARGUERITTE CHABIRON
A VERDELAIS ETAIT DANS CET IMMEUBLE

LES RESISTANTES S'ENFUIRENT PAR LE JARDIN A PIC